Complémentaires santé : moteur de l’innovation
L’originalité du système de santé français repose sur son mode de financement à deux étages : un même soin est pris en charge à 78 % par l’assurance maladie obligatoire et à 13 % par des organismes d’assurance maladie complémentaire (OCAM) privés – le reste étant à la charge des ménages. Cette particularité est le fruit d’une histoire qui a débuté avec la création des premières sociétés de secours mutuel au xixe siècle – les ancêtres des mutuelles –, puis avec l’invention du ticket modérateur dans les années 1930 – la part des dépenses de santé qui reste à la charge de l’assuré.
Actuellement, un projet dit « Grande Sécu », aussi appelé « 100 % Sécu » ou « Tout Sécu » d’assurance maladie universelle est prôné par certains analystes. Bien que le reste à charge, en France, soit le plus faible de tous les pays de l’OCDE, de nombreux auteurs ont dénoncé le coût, l’inefficacité et, à certains égards, l’iniquité de notre système de financement des soins à deux étages. C’est pourquoi il a été proposé maintes fois de supprimer les organismes complémentaires et d’accroître le rôle de la Sécurité sociale dans le financement des soins de base. L’objet de l’étude Complémentaires santé : moteur de l’innovation sanitaire, que nous publions à la Fondation pour l’innovation politique (octobre 2021), est de démontrer, au contraire, que les organismes complémentaires remplissent une fonction essentielle : ils permettent d’injecter de l’innovation dans le système.
En effet, à la différence de l’assurance maladie obligatoire, les organismes complémentaires santé opèrent sur un marché où le consommateur choisit auprès de quel organisme il souhaite s’assurer. Ils sont donc incités à sortir des sentiers battus pour attirer de nouveaux clients et les fidéliser. Cette incitation est à l’origine d’innovations telles que la couverture de nouveaux risques, l’amélioration du parcours de soins avec la télémédecine, l’émergence de différents niveaux de gamme, l’expérimentation de programmes de prévention à long terme, etc. En outre, les OCAM privés sont davantage incités que l’État à maintenir leurs comptes à l’équilibre. Cette incitation les conduit à innover dans la prévention à court terme et à faire baisser les prix de marché via la constitution de réseaux de soins.
La première incitation, liée au choix des consommateurs, est propre au marché. La seconde, liée au financement des soins, agit aussi sur la Sécurité sociale mais de manière beaucoup plus prononcée sur les organismes privés. Un système « 100 % Sécu » réduirait donc considérablement les incitations à innover. De plus, les OCAM seraient relégués au rang d’assurances « supplémentaires ». L’impact de leurs innovations serait aussi limité que leur champ d’intervention. Une réforme « 100 % Sécu » affaiblirait donc la capacité globale d’innovation du système.
Le système actuel n’est pas parfait mais le rôle moteur des OCAM privés en matière d’innovation est une de ses forces, pas de ses faiblesses. C’est pourquoi aux scénarios de « rupture » comme celui d’une « Grande Sécu » nous préférons des réformes d’ajustement : la modulation du ticket modérateur selon l’âge, la fin des avantages fiscaux liés aux contrats collectifs et la réduction du taux d’imposition de la TSA. Ces réformes ont l’avantage de corriger les dysfonctionnements identifiés dans cette note, tout en gardant une place pour la concurrence et l’innovation.
Moduler le ticket modérateur en fonction de l’âge
La concurrence entre les différents types d’organismes a conduit à la quasi-disparition des contrats dont le tarif est indépendant de l’âge. Cette situation est regrettable. Une solution pour y remédier consisterait à moduler le ticket modérateur en fonction de l’âge. Pour ce faire, il suffirait de baisser le taux du ticket modérateur de 5 points sur les postes pour lesquels la dépense augmente avec l’âge (pharmacie, liste des produits remboursables) ou est nettement plus élevée chez les plus âgés (hospitalisation, auxiliaires). En contrepartie, le ticket modérateur serait augmenté de 5 points sur les postes pour lesquels les dépenses évoluent peu avec l’âge (consultations médicales) ou diminue chez les plus âgés (soins dentaires).
Cette réforme permettrait d’accorder plus de place à la Sécurité sociale dans le financement des soins des personnes âgées, et donc de renforcer la solidarité entre les générations, sans pour autant réduire le montant global du ticket modérateur.
Ce scénario permettrait de réduire le reste à charge (après assurance maladie obligatoire) des personnes âgées de plus de 75 ans de 51 euros pour les soins hospitaliers et de 57 euros pour les soins de ville. Le reste à charge après remboursement par l’assurance maladie obligatoire des seniors resterait en moyenne plus élevé que celui des moins de 75 ans mais s’en rapprocherait davantage. L’écart passerait ainsi de 77 euros à 18 euros pour les soins hospitaliers et de 212 euros à 67 euros pour les soins de ville. Le prix d’un contrat pour une personne âgée de plus de 75 ans baisserait mécaniquement puisque la complémentaire aurait moins de dépenses à prendre en charge. À l’inverse, le prix pour les personnes de moins de 75 ans augmenterait. Cette mesure entraînerait donc un lissage – partiel – du coût de l’assurance maladie sur le temps.
Mettre fin aux avantages fiscaux liés aux contrats collectifs
Les niches fiscales et sociales sur les entreprises et les salariés représentent à elles seules 70 % des dépenses publiques liées aux contrats de complémentaire (7 milliards d’euros au total) [1]. Cette concentration des aides sur les entreprises et les salariés accroît les inégalités. Dans un souci d’équité, il conviendrait de mettre fin à tout ou partie des avantages fiscaux liés aux contrats collectifs, ce qui libérerait des ressources pour aider les populations les plus vulnérables (chômeurs, retraités, bas revenus).
Réduire le taux d’imposition de la taxe de solidarité additionnelle
La TSA est l’ancêtre de la contribution CMU, créée par la loi du 27 juillet 1999. Initialement fixée à 1,75 %, elle a été réévaluée à deux reprises : elle est passée à 2,5 % en 2006, puis à 5,9 % en 2009. Une année plus tard, la contribution CMU est transformée en taxe de solidarité additionnelle. Son taux est fixé à 6,27 %. À la TSA est venue s’ajouter en 2011 une taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA). Le taux d’imposition est de 7 % pour les contrats responsables et de 14 % pour les contrats non responsables.
La TSA telle que nous la connaissons aujourd’hui est née de la fusion, en 2016, des anciennes TSA et TSCA. Son taux est fixé à 13,27 % pour les contrats responsables et 20,27 % pour les contrats non responsables.
À l’origine, l’objectif de cette contribution, qui s’est ensuite muée en taxe, était d’instaurer une solidarité entre les personnes qui souscrivent à un contrat de complémentaire et celles qui n’en ont pas les moyens. Aujourd’hui, seule la moitié des recettes sert à financer la complémentaire santé solidaire, le reste étant alloué à la Sécurité sociale, sans contrepartie pour les souscripteurs. Or, comme toute taxe, la TSA contribue à renchérir le prix des contrats de complémentaire santé, ce qui nuit à l’accès aux soins. De plus, étant proportionnelle aux cotisations, elle pèse fortement sur le budget des personnes âgées.
Dans un souci d’amélioration du pouvoir d’achat des ménages et de généralisation de la couverture complémentaire, nous proposons donc de réduire le taux de la TSA. Une réduction de 6 points permettrait de conserver un rendement légèrement supérieur au coût de financement de la complémentaire santé solidaire – la marge pouvant servir à couvrir l’éventuelle augmentation des dépenses liées à cette complémentaire santé solidaire. Une telle annonce conduirait à une baisse proportionnelle des prix des contrats de complémentaire. En tout cas, les organismes complémentaires qui ne réagiraient pas ainsi prendraient le risque de voir une partie de leur clientèle se diriger vers le concurrent. Cette mesure est donc favorable au pouvoir d’achat des Français, sans pour autant sacrifier la solidarité entre les différents niveaux de revenus.
Par Nicolas Bouzou, économiste, directeur-fondateur d’Asterès et Guillaume Moukala Same, chargé d’études économiques chez Asterès, pour la Fondation pour l’innovation politique.
Sur le sujet, les auteurs viennent de publier une étude intitulée Complémentaires santé : moteur de l’innovation sanitaire, à la Fondation pour l’innovation politique (octobre 2021), en libre accès sur www.fondapol.org.
[1]. Exemption d’assiette de cotisations sociales patronales et salaries de la participation de l’employeur (3,4 milliards d’euros), déduction de l’impôt sur les bénéfices des charges liées au financement des contrats collectifs obligatoires (2,4 milliards d’euros), déduction de l’impôt sur le revenu des salariés (1,15 milliard d’euros). Source : Cour des comptes, op. cit.