Frais de gestion : stop au faux procès
La santé est l’un des enjeux du prochain quinquennat. Espérons que le grand oral santé du 1er mars, organisé par la Mutualité française, sera l’occasion de clarifier les différentes ambitions des principaux candidats.
Le système de santé est aujourd’hui confronté à de nombreux défis : le vieillissement de la population, le poids croissant des affections de longue durée (ALD), la désertification médicale, la pénurie de médecins, et les nécessaires investissements dans la modernisation. Dans ce contexte, le financement du système de santé constitue un enjeu structurant pour notre pays.
Dernièrement, le débat s’est focalisé sur le projet « Grande sécu », qui fit, avec d’autres scénarios, l’objet d’un rapport approfondi publié en janvier par le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie. Bien qu’elle ait sa place dans le débat démocratique, cette proposition s’appuie sur une vision tronquée du rôle des organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM).
Une des justifications mises en avant par les adeptes de la Grande Sécu est le montant des frais de gestion des OCAM. Les complémentaires seraient trop coûteuses, ce qui nuirait au taux d’effort des ménages en matière de santé. Ceci alors que le système dual français est celui qui offre le reste à charge le plus faible de l’OCDE (6,9 % de la dépense de santé).
Qu’en est-il vraiment ? Les frais de gestion des complémentaires santé recoupent une réalité multidimensionnelle complexe à appréhender. Pour faire simple, ces frais renvoient aux dépenses des organismes ne relevant ni des prestations de remboursement (s’élevant en moyenne à 79 % des cotisations), ni des taxes (au taux de 14%).
Avant d’établir une comparaison entre public et privé, il convient de rappeler que les frais de gestion des OCAM ne couvrent pas le même périmètre que ceux de la Sécurité sociale. Les frais relatifs à l’acquisition de clients sont spécifiques aux OCAM, qui opèrent sur un marché libre, donc concurrentiel. À l’inverse, l’affiliation au régime de l’Assurance maladie étant obligatoire, les frais d’acquisition sont par définition inexistants côté public. Les frais d’acquisition constituent donc le prix du marché et doivent être mis au regard des bénéfices de la concurrence en termes d’accès aux soins et d’innovation.
Ensuite, les dépenses des OCAM liées au recouvrement des cotisations, à l’organisation des services, aux actions de prévention et d’action sociale au bénéfice des assurés les plus démunis sont comptabilisées comme des « frais d’administration et autres charges techniques ». De son côté, la Sécurité sociale ne supporte pas les frais de recouvrement des cotisations, assurés par l’URSSAF, ni ceux de l’action sociale et de la prévention, qui relèvent de budgets séparés. Sur ce périmètre, la comparaison avec la Sécurité sociale n’est donc pas pertinente.
En revanche, la comparaison est justifiée sur les frais relatifs à la gestion des prestations. Sur ce périmètre commun, nous pouvons évaluer grâce aux données de la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), que les complémentaires santé présentent des frais de 1,5 milliard d’euros, quand ceux de la Sécurité Sociale s’élèvent à 7,3 milliards d’euros. Le coût par bénéficiaire est ainsi de 23€ par assuré pour les complémentaires et de 115€ pour l’Assurance maladie. Rapporté aux recettes, ce coût s’élève à 4% pour les OCAM et 3% pour l’Assurance maladie. À première vue, les complémentaires ne sont donc pas moins efficaces que l’Assurance maladie.
Le débat sur les frais de gestion doit aussi englober une dimension économique. Les frais des complémentaires santé participent à structurer des réseaux de soins, favorisant l’accès à des soins de qualité à un prix raisonnable, à développer des services d’assistance en cas d’accident, de maladie, d’hospitalisation ou de dépendance et à favoriser l’émergence de solutions innovantes dans des domaines tels que la télémédecine.
En somme, les frais de gestion des OCAM ne constituent pas uniquement une charge pour les assurés, mais reflètent également les efforts d’innovation réalisés par les complémentaires, notamment en ce qui concerne la qualité de leurs services. En réduisant le champ d’intervention des complémentaires, ce sont ces apports-là que notre système de santé risque de perdre.
Pour aller plus loin
La vérité sur les frais de gestion des complémentaires santé, par Josette Guéniau et Guillaume Moukala Same, Institut Sapiens (03/02/2022)
Par Josette Guéniau – Institut Sapiens, Directrice de l’Observatoire Santé et Innovation
et Guillaume Moukala Same – Consultant économique au Cabinet Asterès