L’interdépendance de la santé et de l’environnement
La pandémie de la Covid-19 nous a invités brutalement dans l’urgence et les larmes à reconsidérer la place que nous autres, êtres humains, occupons dans la longue et complexe chaîne du vivant de cette planète. C’est un rappel soudain à une sagesse depuis longtemps perdue de vue, la conscience de notre interdépendance avec tout ce qui vit sur cette planète, faune, flore, écosystèmes, jusqu’aux bactéries.
La détérioration des milieux naturels, la prévalence des pesticides, les épisodes récurrents de pollution de l’air, l’omniprésence de la pollution chimique, le changement climatique sont désormais clairement identifiés comme facteurs pathogènes, impactant non seulement la santé humaine, mais aussi la santé animale et celle des écosystèmes.
La crise sanitaire nous a fait la démonstration flagrante de ces interactions entre santé humaine, faune sauvage et environnement. Cette pandémie appartiendrait en effet à la famille des zoonoses, ces maladies infectieuses transmises par les animaux, qui affectent les humains. Or la fréquence de ces zoonoses observées depuis plusieurs dizaines d’années semble s’accélérer : 60% des maladies humaines sont d’origine animale ; 75% des maladies humaines émergentes sont des zoonoses.
Les causes en sont multiples : la mondialisation de l’économie conjuguée au développement démographique, l’industrialisation, la déforestation, l’intensification de l’élevage, rapprochent dangereusement l’univers des humains de celui des animaux et provoquent l’érosion de la biodiversité et la dégradation des écosystèmes.
Les élus politiques nationaux se sont d’ores et déjà mobilisés sur ces questions de santé environnement et les deux Chambres du Parlement se sont toutes deux récemment emparées du sujet. Début 2021, les sénateurs ont rendu un rapport dans le cadre d’une Mission d’information intitulée « Priorité et gouvernance de la politique de santé environnementale » dont les conclusions rejoignent en quasi-totalité les recommandations précédemment formulées par l’autre Chambre parlementaire. A l’Assemblée nationale, en effet, une Commission d’enquête parlementaire composée de trente députés, que j’ai eu l’honneur de présider, a été diligentée fin 2020 pour évaluer les politiques publiques de santé environnementale.
Le sentiment général qui est ressorti des 64 auditions de cette Commission est celui d’une impuissance collective face à des enjeux encore mal connus et sur lesquels la connaissance et le discours scientifiques continuent encore à se structurer. L’acculturation du pouvoir politique et de l’administration à ces questions est lente et progressive et les organisations nationales et territoriales sont souvent défaillantes. Elles peinent en effet à dépasser le vieux modèle français de la spécialisation en silo qui freine la transversalité et l’interdisciplinarité, pourtant indispensables à l’approche « Une seule santé ».
Le point positif qui est ressorti de ces auditions est que la France est le seul pays d’Europe qui met en œuvre une politique publique de santé environnement à travers des Plans pluriannuels. L’existence d’un Plan National Santé Environnement (PNSE) avec une dimension programmatique pluriannuelle représente une vraie opportunité sanitaire. Cependant, l’exercice programmatique a ses limites. De vives critiques ont porté sur l’écart constaté entre l’affichage théorique des objectifs des plans précédents et l’effectivité des actions. Les versions successives des PNSE contiennent pourtant de nombreuses actions intéressantes, mais elles pâtissent de l’absence d’une vraie colonne vertébrale organisationnelle.
Si les idées ne manquent pas, elles peinent à être appliquées. Il manque une instance de coordination nationale qui serait chargée d’assurer la dynamique et la cohérence de la gouvernance. Il faudrait la doter d’une organisation structurée avec des objectifs clairs et quantifiés et des moyens humains et financiers à la hauteur des enjeux.
Au niveau territorial aussi, la collaboration entre acteurs territoriaux est inégale et les actions régionales nécessiteraient une gouvernance clarifiée sur le partage des compétences et le portage de ces sujets.
La quatrième version du Plan National Santé Environnement, qui tient compte du travail des membres du Groupe Santé Environnement et des recommandations des inspections générales des deux ministères et celle du Haut Conseil en Santé Publique, a été présentée en mai 2021. Ce plan présente des objectifs quantifiés, des indicateurs d’évaluation et des moyens supplémentaires, qui ont été ajoutés à la mouture initiale. Il affiche une volonté de mettre en place une politique cohérente et coordonnée entre les différents plans sectoriels qui fonctionnent actuellement en silos.
Ce PNSE4 est loin d’être parfait, même s’il contient de très belles avancées par rapport aux plans précédents. Le problème de la gouvernance nationale n’est toujours pas résolu. Ni celui de la révision des procédures d’autorisations de mise sur le marché des produits potentiellement nuisibles pour la santé. Il apparait tout aussi nécessaire de questionner la toxicologie réglementaire, devenue totalement inadaptée aux récentes connaissances scientifiques, notamment celles relatives à l’impact des perturbateurs endocriniens sur les organismes humains.
Autant de sujets qui ont été abordés au cours des auditions de la Commission d’enquête et qui ne trouvent pas de réponses dans ce PNSE4. Un travail complémentaire de réflexion et de négociation devra se poursuivre en dehors du cadre officiel du PNSE4.
Il apparait évident aujourd’hui que les gouvernements devront se montrer proactifs pour prévenir d’autres pandémies et répondre à l’inquiétude de la population et sa légitime exigence de protection préventive. Dans cette perspective, ils seront amenés à prendre en compte les liens inextricables entre santé humaine, animale et écosystèmes, liens qui constituent le cœur même de l’approche « Une seule santé ».
Il en va à terme de la survie du vivant sur cette planète.
Pour en savoir plus
Voir le rapport de la Commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale (décembre 2020)