Assurance maladie : repenser le financement
Le mode de financement de l’assurance maladie n’est plus en phase avec le contexte économique. Pour résorber le déficit et léguer aux générations futures la soutenabilité de nos principes de solidarité, il est nécessaire d’accroître la part des fonds privés. Pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), le périmètre de la solidarité devrait faire l’objet d’un débat national.
1. Le mode de financement de l’assurance maladie n’est plus en phase avec le contexte économique
L’assainissement des comptes publics est un objectif majeur du quinquennat d’Emmanuel Macron. Si le déficit de l’État français était de 2,6 % du PIB en 2017 [1], la dette publique s’élevait à 98% du PIB. Le déficit de la Sécurité sociale augmenterait à 4,4 milliards d’euros en 2018 [2] et se heurte à ceux persistants de l’assurance maladie et de l’assurance vieillesse. Alors même que la demande de bien-être est croissante, l’innovation médicale est coûteuse, les maladies chroniques prennent leur essor, les frais médicaux progressent et la population vieillit. La part de la richesse nationale consacrée à la santé est ainsi passée de 7% du PIB en 1980 à environ 12% ces dernières années [3].
Le mode de financement de la Sécurité sociale pendant les Trente Glorieuses, basé sur des cotisations prélevées sur les salaires n’est plus pertinent : la croissance du PIB n’est plus aussi forte aujourd’hui, même si le débat public oscille absurdement, redoutant une croissance trop faible au nom de l’emploi et espérant une décroissance au nom de l’environnement. De fait, le chômage de masse s’est installé et les recettes de la Sécurité sociale ralentissent. Le levier de la hausse des taux de cotisations pour accroître les ressources de la Sécurité sociale n’est plus disponible. Selon Eurostat, les recettes fiscales englobant impôts et cotisations sociales ont représenté 47,6% du PIB en France en 2016, contre 41,3% en moyenne dans la zone euro. La France arrive en tête du classement européen, suivie du Danemark et la Belgique. Cependant, la Belgique, qui occupait la première place en 2015 avec la France, a vu son taux reculer à 46,8% [4].
Il est impossible de revaloriser les cotisations sans risquer une destruction d’emplois (le coût du travail est l’une des causes structurelles du chômage de masse). Cela explique la réduction des charges patronales aux alentours du Smic. Le niveau actuel des cotisations est déjà l’une des causes du déficit de compétitivité-prix des entreprises. Il est donc nécessaire de diversifier les financements à pression fiscale des entreprises constante voire inférieure.
2. La modération des tarifs conventionnels ne suffit plus
Depuis 2005, les pouvoirs publics ont tenté de modérer l’inflation des dépenses médicales par l’introduction d’une modération stricte des tarifs conventionnels (tickets modérateurs, baisses des remboursements, notamment en pharmacie, biologie et radiologie) [5]. Cela a permis, depuis 2010, de respecter l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam). Néanmoins, cette stratégie a aujourd’hui atteint ses limites : les prix ne peuvent pas être abaissés, gelés ou revalorisés à la marge sans qu’augmentent le risque de dégradation de la qualité des soins et le mécontentement des professionnels. L’assurance maladie a également modéré la revalorisation des actes médicaux, dont le C (consultation). La valeur du C a baissé en termes réels. Dernièrement, les médecins sont parvenus à obtenir une hausse du C de 23 à 25 euros.
Désormais, la priorité doit porter sur l’efficience du fonctionnement du système de santé. Martin Hirsch déclarait récemment : « Les budgets ont augmenté pendant des périodes pendant lesquelles les choses ne se sont pas améliorées ; l’argent va avec l’organisation [6]. » Il faut donc moderniser les équipements dans les hôpitaux, avoir une meilleure coordination entre l’hôpital et la médecine de ville, changer les mentalités de certaines corporations. La télémédecine, par exemple, est une excellente réponse à ces évolutions [7]. Nous recommandons, là aussi, de contribuer à une baisse des prix par le recours volontariste à l’innovation et la promotion énergique d’offres low-cost.
3. Repenser le financement : cotisations/charges sociales
Emmanuel Macron a déjà décidé de baisser les cotisations salariales en échange d’une hausse de la CSG. Il serait également judicieux de reprendre la piste d’un allègement des charges sociales en augmentant la TVA (ce qui avait d’ailleurs été proposé par Nicolas Sarkozy et mis en place par François Hollande avec le CICE). Certes, cela impacterait le pouvoir d’achat des ménages, mais il ne faut pas oublier que la TVA en France est inférieure à celle de la moyenne de UE [8].
4. Le périmètre de solidarité doit être débattu
Pour résorber le déficit et léguer aux générations futures la soutenabilité de nos principes de solidarité, il est nécessaire d’accroître la part des fonds privés. Le périmètre de la solidarité devrait faire l’objet d’un débat national.
Un transfert de certains actes pris en charge par la Sécurité sociale vers des organismes privés est possible. Ainsi pourrait-on imaginer de revoir les taux de remboursement sur ceux qui sont répartis entre l’assurance publique et les assurances privées. De manière générale, les assurances privées doivent disposer d’une flexibilité leur permettant d’innover et d’expérimenter de nouveaux services, comme la télémédecine, problème complexe du côté de l’assurance maladie.
Au vu des finances de l’assurance maladie, cette évolution se fera tôt ou tard, soit par pragmatisme et de manière incrémentale, soit par de véritables sauts réformateurs opérés au terme de débats nationaux. Comme cette réforme risque d’avoir un fort coût électoral, on peut craindre que la première solution soit favorisée, mais une refonte plus drastique et rapide du système devrait intervenir pour éviter une crise du système de santé solidaire. La solidarité prendra le chemin d’un resserrement de la couverture publique, soit autour des prestations médicales « essentielles », soit autour des individus les plus vulnérables, ou bien les deux à la fois.
Pour le premier scénario, avec une solidarité recentrée sur les soins essentiels, la solidarité resterait inconditionnelle, en accordant aux individus une protection sans considération de leur situation économique et sociale, et l’équilibre serait atteint par un resserrement du champ de la protection sur un panier de soins jugés essentiels. Le poids financier des maladies bénignes serait progressivement transféré aux organismes complémentaires. Les ménages modestes, qui ne peuvent supporter le coût d’une assurance privée, continueraient de relever d’une logique solidaire complète, sur tous les soins. Les ménages de la classe moyenne inférieure pourraient bénéficier d’une aide pour l’accès à une couverture privée, à l’image de l’actuelle ACS. Ce scénario correspond à une accentuation des tendances passées : l’assurance maladie tend à se retirer de certaines prestations médicales (soins dentaires, optique), alors qu’elle maintient une couverture complète pour les affectations de longue durée (ALD).
Le second scénario propose une solidarité recentrée sur les populations fragiles. Une solution financièrement soutenable consiste en effet à faire participer les patients au coût des soins consommés proportionnellement à leurs revenus, ce qui reviendrait à favoriser le principe d’équité par rapport à celui d’égalité, en assumant la création d’inégalités au profit des moins favorisés. Plusieurs mécanismes pourraient être établis, de la proportionnelle à des systèmes plus complexes de seuils. L’idée de mettre en place un « bouclier sanitaire » permettrait aux assurés d’être soumis à une franchise sur leurs dépenses médicales proportionnelle à leurs revenus. Une fois la franchise dépassée, le système solidaire s’actionnerait pour prendre en charge les frais, de manière intégrale ou partielle, comme c’est le cas aujourd’hui. Comme avec le premier scénario, les organismes complémentaires d’assurance maladie récupéreraient à leur compte la dépense non couverte par la solidarité. Ces deux scénarios peuvent être complémentaires : le premier permet de répondre au défi du financement, le second à celui de l’équité.
5. Création d’un instrument de pilotage fiscal des comportements nutritionnels
Dans un rapport récent, la Cour des comptes juge essentiel le développement d’une politique de prévention pour maîtriser les coûts de santé en contenant l’apparition de maladies (par la vaccination, le développement du sport, une nutrition saine, etc.) [9]. Une politique de prévention fondée sur une fiscalité incitative pourrait avoir un impact en matière de santé publique [10]. Ces politiques concernent, par exemple, la fiscalité écologique et la santé publique (taxes sur les cigarettes, taxes sur les sodas, etc.).
Il s’agirait ici non pas d’augmenter le niveau des prélèvements obligatoires mais d’entraîner des modifications de comportements de consommation par :
- la baisse de la TVA sur des produits favorisant une bonne santé (fruits, légumes, etc.) ;
- la hausse de la taxe sur les produits élaborés en fonction de leur contenu en ingrédients nocifs ou sur leur taux de graisse, sel ou sucre [11]. Cette taxe permettrait de produire des aliments plus sains et ferait in fine monter en gamme la compétitivité des produits français. Cela suppose néanmoins un contrôle de la composition des produits.
Dominique Reynié, Georges Clementz, Karman Jassal
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Notes
[1]. Voir « En 2017, le déficit public s’élève à 2,6 % du PIB, la dette notifiée à 97,0 % du PIB » (Insee, comptes nationaux des administrations publiques, année 2017, premiers résultats), Informations rapides, no 79, 26 mars 2018 (www.insee.fr/fr/statistiques/3375616).
[2]. Sécurité sociale. Rapport à la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Résultats 2016, prévisions 2017 et 2018, ministère des Solidarités et de la Santé, 2017, p. 13-14 (www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/ccss-septembre2017-ok.pdf).
[3]. « Quelle est la part de la richesse nationale consacrée à la santé ? », vie-publique.fr, 29 février 2016 (www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/protection-sociale/risque-sante/depenses-sante/quelle-est-part-richesse-nationale-consacree-sante.html).
[4]. Voir « La fiscalité́ en 2016. Le ratio recettes fiscales/PIB en légère hausse tant dans l’UE que dans la zone euro. Un rapport de 1 à 2 entre États membres », Eurostat, communiqué de presse, 7 décembre 2017 (ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/8516002/2-07122017-BP-FR.pdf/fe2436ff-4891-46bc-86d4-ba5908cef012).
[5]. Les Réseaux de soins conventionnés, Pour une meilleure régulation des dépenses médicales, Asterès, septembre 2016, p. 11 (asteres.fr/site/wp-content/uploads/2016/09/Asterès-Les-réseaux-de-soins-conventionnés-Etude-juin-2016.pdf).
[6]. « Martin Hirsch : “L’un des grands enjeux, c’est de casser le mur entre l’hôpital et la médecine de ville” », franceinter.fr, 24 avril 2018 (www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-24-avril-2018).
[7]. Voir Dominique Reynié, Digitalisation de la santé : une voie prometteuse, fondapol.org, 26 mars 2018 (www.fondapol.org/dans-les-medias-fr/digitalisation-de-la-sante-une-voie-prometteuse/).
[8]. Voir « Liste des taux de TVA dans l’Union européenne », asd-int.com, 2 janvier 2017 (www.asd-int.com/actualites/article/13-liste-des-taux-de-tva-dans-lunion-europeenne).
[9]. Voir L’Avenir de l’assurance maladie. Assurer l’efficience des dépenses, responsabiliser les acteurs, Cour des comptes, novembre 2017 (www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-11/20171129-rapport-avenir-assurance-maladie_0.pdf).
[10]. Voir Nicolas Bouzou, Réformer la santé : trois propositions, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2011 (www.fondapol.org/wp-content/uploads/2011/11/Reformer-la-sante-Bouzou-2011.pdf).
[11]. Une taxe sur les aliments nocifs n’inciterait pas les industriels à adapter leurs recettes aux exigences de santé publique (les produits ne sont pas taxés en fonction de leur contenu mais de leur définition même), tandis qu’une taxe sur les ingrédients nocifs (huile de palme, sirop de glucose…) aurait des conséquences sur les produits fabriqués en France et pénaliserait paradoxalement les produits nationaux par rapport aux produits étrangers.