Bien-vieillir : un défi majeur pour notre société
Le vieillissement de la population résulte en grande partie d’une tendance de fond à l’allongement de la durée de vie après 65 ans, révélatrice d’une amélioration continue de la santé des Français au cours du siècle dernier[1]. Cette évolution, perceptible depuis une trentaine d’années, doit inciter les décideurs publics à repenser la place et le rôle des seniors dans notre société et bâtir une société et un système de soins plus inclusifs, adaptés à ces mutations.
Les seniors, une ressource indispensable pour notre société
Les seniors constituent des personnes ressources pour notre modèle économique et des acteurs incontournables de la solidarité entre les générations. Ils sont un pilier de l’aide aux proches : tout d’abord en tant qu’aidants de leurs propres parents dépendants, mais également pour s’occuper de leurs petits enfants et les accompagner dans les activités de la vie quotidienne. Par ailleurs, les seniors sont une richesse pour les associations : plus de 50 % des responsables associatifs sont des retraités.
Les seniors apportent aussi une contribution importante au dynamisme économique de la France. Cela passe d’abord par la consommation : les plus de 50 ans représentent plus de 50 % des dépenses de consommation en France. Cela se traduit ensuite par l’opportunité que constitue le vieillissement de la population pour la croissance française. D’une part, promouvoir la santé des personnes âgées est un enjeu économique puisque selon les économistes, l’amélioration de l’espérance de vie sans incapacité augmenterait le potentiel de croissance à long terme d’un pays. D’autre part, le développement d’entreprises autour de la « silver économie » donnera un avantage comparatif notable à la France.
Un système de soins encore largement inadapté à leurs besoins
La pandémie a révélé l’importance de repenser notre système de santé autour de deux principaux axes : la mise en place d’une véritable politique de la prévention et l’adaptation des parcours de soins au vieillissement. En effet, notre système de santé doit passer d’une logique de prise en charge curative et hospitalo-centrée, fondée sur les établissements d’accueil de personnes âgées, à une approche multidimensionnelle reposant sur la prévention et le soutien dans de bonnes conditions à domicile.
Plusieurs exemples étrangers montrent que la France présente encore des carences en la matière : nos aides publiques ne sont pas assez centrées sur les intérêts des personnes. Comparé à plusieurs pays de l’OCDE[2], les aides publiques françaises couvrent moins généreusement les besoins à domicile que les soins en établissement, alors que nos aînés souhaitent avant tout vieillir chez eux[3].
De plus, les services apportés aux aînés fragiles ont souvent vocation à les remplacer dans les tâches de la vie quotidienne qu’ils ne peuvent plus accomplir, alors que plusieurs exemples à l’étranger (pays nordiques, Canada) montrent qu’il est souvent plus efficient, c’est-à-dire moins coûteux et plus important pour leur bien-être, de financer des aides à la ré-autonomisation qui leur apprennent à effectuer ces tâches différemment. Ces services répondent souvent mieux aux attentes des personnes fragiles ou susceptibles de le devenir.
La prévention comme pilier du bien-vieillir
Compte tenu des carences de notre système, la mise en œuvre rapide d’une politique ambitieuse du bien-vieillir doit répondre à trois besoins urgents[4]. Tout d’abord, la France a besoin de moyens humains supplémentaires. Cela passe par une augmentation massive du nombre de travailleurs dans le secteur du « grand âge ». Le vieillissement de la population crée de nouveaux besoins, qui nécessitent le déploiement d’une offre de soins au domicile plus exhaustive, mieux coordonnée autour des aînés et mieux intégrée dans une prise en charge globale de la perte d’autonomie.
Ensuite, la France a besoin de se doter d’outils nouveaux pour mener une politique du bien-vieillir ambitieuse. La France peut s’appuyer sur une filière « silver économie » très dynamique, qui permet l’émergence de solutions innovantes pour favoriser le bien-vieillir et apportent des solutions concrètes aux besoins quotidiens de suivi des personnes comme des outils d’intelligence artificielle de détection de risque de fragilisation et des programmes personnalisés de lutte contre la perte d’autonomie.
Enfin, notre système de santé a besoin de se doter d’outils d’évaluation de l’impact de sa politique du bien-vieillir. Alors que les disparités territoriales de la prise en charge de la dépendance sont connues, nous manquons à l’heure actuelle de données permettant de comparer la qualité et l’impact des mesures mises en œuvre au niveau local. Pourtant, ces données seraient très utiles pour établir des comparaisons et uniformiser la qualité de la prise en charge de la perte d’autonomie sur le territoire français. Plusieurs pays étrangers[5] ont mis en place des indicateurs permettant d’évaluer l’impact des stratégies menées au niveau territorial.
Par Laure Millet, Responsable du Programme santé de l’Institut Montaigne
[1] Institut Montaigne, Rapport « Bien-vieillir, faire mûrir nos ambitions », mai 2021
[2] OCDE, « Who Cares? Attracting and Retaining Care Workers for the Elderly”, juin 2020
[3] Selon un sondage réalisé par Opinion Way fin mars 2012, 90 % des Français préféreraient, en cas de dégradation physique liée à l’âge, rester à domicile.
[4] Thomas Rapp pour l’Institut Montaigne, « Trois priorités pour réussir la société du bien-vieillir », mai 2021
[5] Thomas Rapp pour l’Institut Montaigne, « Comparaisons internationales sur la prévention de la perte d’autonomie », mai 2021