Comment l’intelligence artificielle révolutionne la santé ?
Plus personne n’ignore désormais que l’intelligence artificielle (IA) est l’un des piliers du XXIe siècle. Grâce à sa capacité à traiter des milliards de données et en raison de la capacité des algorithmes à faire du deep learning de qualité, les systèmes d’IA [1] sont maintenant capables de réaliser des diagnostics médicaux là où des médecins peuvent se tromper. Baidu, en Chine, a développé une IA qui effectue un diagnostic de cancer du sein à partir d’analyse d’images de cellules cancéreuses, avec des taux de succès supérieurs à ceux des pathologistes[2].
L’IA au service du diagnostic
Dans le domaine de la radiologie, l’IA est ultra performante. Par exemple, grâce à elle, les cancers du poumon peuvent être détectés avec une précision inédite. Un article a recensé les applications de l’IA à la radiologie[3], et la profession de radiologue aurait grandement intérêt à adopter ces nouveaux outils, si puissants, si elle ne veut pas disparaître. De manière plus générale, tout ce qui nécessite une analyse d’image, par exemple la dermatologie ou l’ophtalmologie, a considérablement progressé grâce à l’IA. Des applications sur smartphone permettent, à partir d’une photo de la peau, de détecter des risques de cancer : c’est le cas de DermEngine[4], développée par MetaOptima en Australie, de SkinVision[5], ou de skinIO[6]. Ces applications sont également destinées aux cabinets médicaux et concourent à soulager le travail des médecins.
Des performances très prometteuses
Des concours de diagnostic entre médecins et systèmes d’IA se développent. En Chine, une équipe de quinze médecins, venant des plus grands hôpitaux du pays, a comparé ses performances avec celles d’un système d’IA développé par un centre de recherche sur les problèmes neurologiques. La compétition portait sur deux sujets : le diagnostic de tumeurs cérébrales et la prédiction de l’expansion d’hématomes dans le cerveau, à partir d’images. Les médecins ont eu raison dans 66 % des cas, en trente minutes, mais, de son côté, l’IA a eu raison dans 87 % des cas, en quinze minutes. Une autre compétition a porté sur le diagnostic de maladies respiratoires. Sur certains types particuliers de maladies, l’IA a eu 100 % de succès contre 30 à 70 % pour les médecins. Sur d’autres, les médecins ont mieux performé [7]. En Grande-Bretagne, un plan de dix ans a été lancé en 2018 afin que le ministère de la Santé développe un système d’IA permettant la détection de cancers très en amont afin de réduire fortement la mortalité [8]. Le potentiel de l’IA se déploie au-delà de l’analyse d’image. Le Danemark a mis en place un système d’aide au diagnostic de crise cardiaque pour les répondants d’appels d’urgence : lorsqu’une personne appelle, le système d’IA écoute en temps réel le son de la voix, y compris ses aspects émotionnels, les bruits de fond, et aide l’agent à prendre une décision plus rapidement [9].
Limiter les erreurs humaines
IBM est très impliqué dans l’usage de l’IA pour la santé à travers son système Watson. Pour l’instant, en termes de diagnostic, les résultats montrent une égalité avec les médecins. Néanmoins, les systèmes d’IA sont bien plus puissants que les humains pour absorber des montagnes de données. Les médecins effectueront donc de plus en plus leurs diagnostics en utilisant des systèmes d’IA disponibles au travers du réseau. Ceci contribuera à résoudre un problème qui fait l’objet d’une omerta : les erreurs de diagnostic. Dans un monde où la vitesse et la complexité ne cessent de croître, les personnels médicaux sont soumis à une forte pression. Aux États-Unis, une étude estime que les erreurs de diagnostic sont responsables de la mort de 251 000 personnes chaque année [10]. C’est la troisième cause de décès, après les problèmes cardiaques (611 000) et les cancers (585 000). D’ailleurs, si le coût d’une consultation généraliste y est si élevé, c’est parce que le médecin doit prendre une assurance très onéreuse pour faire face aux éventuels procès. En France, il est extrêmement difficile d’obtenir des chiffres sur ce sujet. L’arrivée d’outils basés sur l’IA devrait avoir un effet positif, en déchargeant les médecins d’un stress inutile et en leur permettant de mieux faire face à la pression d’un monde de plus en plus complexe.
Associer intelligence humaine et intelligence artificielle
Une question intéressante porte sur l’importance de l’intuition, ce qu’aucun système d’intelligence artificielle ne sait faire. En effet, pour l’instant, ces systèmes sont basés sur des données du passé. Mais l’intuition n’est-elle pas ce que l’humain sait très bien faire quand il n’y a pas de données disponibles ? Nous voyons peut-être se dessiner le médecin de demain : usage de l’IA lorsque les données sont présentes, combiné avec de l’intuition lorsque les données sont absentes. Nous voyons donc qu’il n’y a pas une IA, capable de tout résoudre, mais des IA qui répondront à des problèmes locaux et fondés sur des données contextuelles.
Par Serge Soudoplatoff, expert de l’Internet, cofondateur de Sooyoos, Scanderia et Mentia (société qui développe un monde virtuel sur tablette pour personnes atteintes d’Alzheimer), auteur d’une étude intitulée, Le numérique au secours de la santé, pour la Fondation pour l’innovation politique (janvier 2019), en libre accès sur www.fondapol.org.
[1]Wang Xiaodong, « AI defeats top doctors in competition », chinadaily.com.cn, 2 uillet 2018. Cf. aussi Aurélie Jean, Les algorithmes font-ils la loi ?, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2021.
[2]Voir Khari Johnson, « Baidu Research’s breast cancer detection algorithm outperforms human pathologists », venturebeat.com, 18 juin 2018 (https://venturebeat.com/2018/06/18/baidu-researchs-breast-cancer-detection- algorithm-outperforms-human-pathologists/).
[3]Ahmed Hosny, Chintan Parmar, John Quackenbush, Lawrence H. Schwartz et Hugo J.W.L. Aerts, « Artificial intelligence in radiology », Nature Reviews Cancer, vol. 18, n° 8, août 2018, p. 500-510.
[4]Voir le site : www.dermengine.com/fr/
[5]Voir le site : www.skinvision.com.
[6]Voir le site : www.skinio.com.
[7]Luu-Ly Do-Quang, « L’intelligence artificielle plus performante que des médecins dans le diagnostic de maladies respiratoires », ticpharma.com, 24 septembre 2018 (www.ticpharma.com/story.php?story=712).
[8]« Theresa May’s commitment to diagnosing cancers earlier is great news. She’ll need more NHS staff to get there», cancerresearchuk.org, 3 octobre 2018 (scienceblog.cancerresearchuk.org/2018/10/03/theresa-mays-commitmentto-diagnosing-cancers-earlier-is-great-news-shell-need-more-nhs-staff-to-get-there/).
[9]Axel, « Détecter les crises cardiaques lors d’appels d’urgence grâce à l’IA », innovant.fr, 17 janvier 2018 (https://www.innovant.fr/2018/01/17/detecter-crises-cardiaques-lors-dappels-durgence-grace-a-lia/).
[10]Voir « Medical error–the third leading cause of death in the US », soundcloud.com, 2016 (soundcloud.com/bmjpodcasts/medical-errorthe-third-leading-cause-of-death-in-the-us).