Débattre des protections sociales durables
Notre système de protection sociale est menacé par des évolutions qui pèseront sur sa soutenabilité. Son rôle sociétal potentiel dépasse sa capacité d’amortisseur social en cas de crises et de réduction des écarts de revenus. Pour faire face aux nouveaux risques qui touchent la population et adapter notre système, la voie du débat collectif et démocratique, notamment sur les sujets de financement et de solidarité intergénérationnelle, paraît devoir être empruntée. C’est aussi à l’aune des protections sociales durables que la question du périmètre d’intervention des mutuelles et de leur articulation avec l’intervention publique pourra être posée.
Des facteurs de risques accrus et renouvelés
La soutenabilité du système de protection sociale est remise en question par un ensemble de facteurs. Certains, déjà identifiés, devraient s’aggraver tandis que d’autres sont émergents. En l’absence de mesures correctrices, cette situation pourrait conduire à un renforcement des inégalités sociales.
Le vieillissement de la population et l’accroissement des maladies chroniques appellent une réflexion collective sur les formes de solidarité les plus adéquates pour couvrir les risques maladie et dépendance et, plus largement, pour financer les conditions du « bien vieillir ». Cette réflexion doit inclure les besoins des populations jeunes, dont les niveaux de couvertures santé et prévoyance sont faibles.
Selon la littérature scientifique, la santé environnementale expliquerait deux-tiers des déterminants de santé tandis que les facteurs génétiques et le système de soins expliqueraient respectivement 22 % et 11 %. Parmi les facteurs environnementaux se dégagent ceux liés au changement climatique, dont les effets sur la santé sont nombreux : impacts matériels et humains liés à l’intensité et la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes ; effets de nature épidémiologique ; conséquences sur la sécurité alimentaire. Pour y répondre, l’action collective devra à la fois s’attacher à réduire l’intensité du changement climatique et mettre en œuvre des mesures pour en limiter les impacts. Cela appelle des approches multidimensionnelles, impliquant une diversité d’acteurs. L’aspect curatif ne constitue qu’une partie des réponses, au côté d’efforts de prévention et d’évolutions de la règlementation.
La transition numérique a des impacts sur tous les compartiments de la vie des Français, dans l’organisation et le recours aux datas, l’intelligence artificielle, en particulier dans le domaine de la santé. Innovation en matière de soins, amélioration du partage de l’information entre professionnels et patients, télémédecine, prévention, accompagnement… les bénéfices attendus sont potentiellement considérables, comme le sont également les risques d’un inégal accès à ces bénéfices. Ces évolutions doivent être accompagnées pour se traduire en progrès partagés pour tous, notamment pour permettre une meilleure personnalisation. En revanche, l’individualisation du risque serait mortifère pour les solidarités et la cohésion sociale. La place accordée à la société civile ne pourrait-elle pas être renforcée pour offrir de nouveaux droits ; notamment pour aborder la question des données et de l’intelligence artificielle.
Des conditions de financement questionnées
Quels objectifs en matière de bien-être physique et psychique souhaitent-on collectivement se fixer ? C’est pour permettre l’émergence de ces préférences sociales que nous misons sur un renouveau des espaces de la démocratie sanitaire. Les questions financières sur les niveaux et la répartition des financements sont la résultante de ces choix.
A modèle constant, le financement de la protection sociale devrait à l’avenir subir l’impact de l’évolution des modes productifs et des emplois notamment sous l’effet de l’augmentation possible de l’auto-entrepreneuriat et du travail indépendant, au détriment du salariat, et des changements impliqués par la transition écologique.
Le financement de la protection sociale est aujourd’hui largement dépendant de la croissance économique et repose en grande partie sur la dynamique des revenus d’activité. A modèle constant, les ressources de la protection sociale devraient à l’avenir subir l’impact de l’évolution des modes productifs et de l’emploi notamment sous l’effet de deux facteurs : les changements impliqués par la transition écologique et une augmentation possible de l’auto-entrepreneuriat et du travail indépendant, au détriment du salariat. Comment dans ce contexte faire évoluer les modes de financement pour assurer la soutenabilité de notre modèle de protection sociale ?
Quel périmètre d’activité pour les mutuelles ?
Répondre aux enjeux auxquels le système de protection sociale est confronté implique des choix de société. Un large débat impliquant l’ensemble des parties prenantes le permettrait. Quels risques souhaitons-nous solvabiliser ? Avec quels objectifs ? Pour quelles populations ? Accepte-t-on d’y consacrer une part plus importante de notre richesse ? Se pose ensuite la question de la répartition de la prise en charge financière.
Le système mixte actuel comporte une composante de redistribution marquée avec l’assurance maladie obligatoire tandis que les mutuelles mutualisent le risque entre bien-portants et malades et ajoutent personnalisation de la couverture et capacité d’innovation. Ces dernières décennies cependant, leur activité a fait l’objet d’un encadrement accru. La puissance publique s’en est par ailleurs remise au principe de la concurrence par les prix sans en évaluer les effets. La segmentation des voies d’accès à la complémentaire a été accrue, au détriment des capacités de mutualisation. Pour répondre à l’évolution des besoins sociaux, il faut aujourd’hui changer de grille de lecture et desserrer le carcan normatif pour permettre aux mutuelles d’exprimer pleinement leur plus-value.
La prévention est un rôle investi depuis longtemps par les mutuelles mais qui pourrait être davantage développé. En prévention primaire, le rôle de la puissance publique est important. Pour autant, les mutuelles sont autant de points d’appui sur le territoire. En prévention secondaire, notamment dans le cadre professionnel, il faut trouver des moyens de généraliser leur implication. Mais il faut aussi que la prévention, comme l’ensemble des services des mutuelles qui ne relèvent pas des remboursements de soins, en matière d’action sociale par exemple, ne soit pas comme aujourd’hui comptabilisée dans les frais de gestion, ce qui a pour effet mécanique de minorer leur taux de redistribution réel.
Ne doit-on pas intégrer les considérations de bien-être et de santé dans l’élaboration et la mise en œuvre et l’évaluation de toutes les politiques publiques ? Deux axes prioritaires pourraient être empruntés : la petite enfance et l’activité physique et sportive régulière tout au long de l’existence. La question de la santé mentale est également essentielle, les enjeux de prévention, de dépistage précoce, de déstigmatisation y jouant un rôle déterminant.
La création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale consacrée à l’autonomie est louable mais le niveau des financements n’est pas à la hauteur des besoins. La prise en charge du risque de perte d’autonomie relève d’une responsabilité collective et doit être avant tout supportée par la solidarité nationale mais si l’État ne peut en assumer l’intégralité du financement, une solution assurantielle pourrait être envisagée.
Jugés complexes, mal appréhendés, les risques qui relèvent de la prévoyance sont trop peu couverts, ce qui peut avoir des conséquences pénalisantes sur le quotidien des Français. Il faut sensibiliser les employeurs et les actifs au risque d’absence de couverture en prévoyance et développer les couvertures de prévoyance.
Tous ces défis nous pouvons les transformer en autant d’opportunités pour faire évoluer notre système de protection sociale. Le levier de la démocratie en santé pourrait être décisif pour faire vivre et évoluer notre modèle social, en concertation et en renforçant la participation de l’ensemble des parties prenantes.