La e-santé, un levier pertinent pour améliorer le parcours de soins des Français
La plupart des thèmes que nous avons abordés dans les différentes tribunes proposées par la Fondation Jean Jaurès pour « Place de la Santé », ont pu dépeindre une situation assez sombre de notre système de santé. Dans une période de débat présidentiel, et même si ce débat n’a pas véritablement porté sur ce sujet, il nous appartenait de pointer les besoins les plus forts ou les sujets trop peu relayés. Pour cette ultime contribution, nous avons donc souhaité nous démarquer et parler d’avenir à travers l’e-santé.
Constat et définition
Partons d’un constat et d’une intuition : la période de pandémie aura constitué un formidable accélérateur de la téléconsultation, et il y a fort à parier que les Français intègrent cet outil de manière pérenne dans leur parcours de soins. L’Etat, à travers le « Ségur de la santé », a également validé la place croissante du numérique en consacrant 1,4 milliards d’euros à la modernisation du système de soins – avec pour objectifs l’interopérabilité, la réversibilité, la convergence et la sécurité des systèmes d’information – et 600 millions pour le médico-social – en axant l’effort sur les équipements de base, les logiciels socles et les services d’échanges –. Au-delà de l’évolution des mentalités et des récentes avancées, la e-santé peut s’avérer un outil propre à répondre à plusieurs besoins que nous avons pu précédemment évoquer.
Repartons de la définition de l’e-santé proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « les services du numérique au service du bien-être de la personne ». Cette définition large articule le champ d’intervention des nouvelles technologies dans trois directions principales : les systèmes d’information – permettant une collecte et une circulation sécurisées des informations – , qui ont été au centre du « Ségur de la Santé », la télémédecine, ou « forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication » – qui embrasse la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance et la régulation – et la santé mobile ou « pratiques médicales et de santé publique supportées par des appareils mobiles ». Trois directions, trois objectifs complémentaires : les services socles, qui sécurisent les interactions et les données ; les outils augmentant la capacité des professionnels à agir ; les pratiques permettant aux usagers d’agir activement sur leur santé.
Perspectives
La conjonction de ces trois directions peut raisonnablement nous faire espérer des débouchés particulièrement pertinents face aux défis collectifs que nous avons à relever. Sans être exhaustif, nous pouvons en avancer quelques-uns :
- Faciliter l’accessibilité des soins dans les territoires peu dotés. Les enseignements de la crise Covid auront été utiles en ce domaine, l’e-santé peut constituer un outil efficace pour palier certaines conséquences de la désertification médicale. Bien développée et strictement encadrée, elle pourra demain permettre à de nombreux Français de vivre sereinement là où le souhaitent, d’autant plus si des outils de structuration territoriale de l’offre comme les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) font leur preuve sur la durée et viennent pleinement coordonner les actions.
- Accélérer les pratiques de prévention. La santé mobile peut s’avérer être un formidable transformateur de nos pratiques pour permettre une réelle logique de prévention. Le perfectionnement de nombreux produits et la multiplication d’applications dédiées montrent des perspectives très encourageantes dans le domaine, d’autant plus que le recours aux objets connectés se trouve de plus en plus normalisé.
- Aider à l’adaptation de la société au vieillissement. Qu’ils soient autonomes et désireux de le rester le plus longtemps possible, fragiles mais conscients de la réversibilité de celle-ci ou bien dépendants, les séniors peuvent voir en l’e-santé un soutien actif dans leur rapport au vieillissement. Anticiper son évolution, agir en conséquence, bénéficier d’un suivi et d’une collégialité dans les examens sont autant de directions que l’e-santé devrait permettre, la plupart des solutions étant déjà développées. Le programme ICOPE (soins intégrés pour la personne âgée) de l’OMS et l’e-santé devraient, par exemple, avancer de pair dans les prochaines années.
- Mieux accompagner les patients atteints de maladie chronique. Contractées via l’activité professionnelle, les habitudes alimentaires, ou encore l’environnement, elles ne cessent de progresser dans notre société et de limiter notre espérance de vie sans incapacité. Avec l’e-santé, l’accompagnement des malades pourrait être augmenté et la qualité de leur existence s’en trouver fortement améliorée.
En schématisant, l’e-santé peut permettre une augmentation/accélération des outils existants, d’offrir plus de coordination entre les professionnels de santé et d’associer les individus – patients ou acteurs de leur bien-être – dans l’ensemble des démarches.
Freins
Si l’e-santé peut nous permettre d’envisager l’avenir avec un relatif optimisme, celui-ci se doit d’être tempéré par les freins qui pourraient en minimiser l’impact sur notre quotidien, et dont les conséquences éventuelles devront être intégrées dans toutes les politiques publiques :
- La fracture numérique. La maîtrise de l’outil numérique constitue le premier frein, évident. Plus d’un tiers des Français éprouvent encore de grandes difficultés avec le numérique, plusieurs rapports pointant la relation de causalité entre celles-ci et la situation socio-économique et culturelle des personnes concernées. L’e-santé ne pourra véritablement atteindre son but qu’avec une médiation numérique généralisée sur les publics les plus éloignés de l’autonomie numérique, publics pouvant se révéler être dans une grande précarité sanitaire.
- Le coût. Deuxième frein le coût de l’offre en e-santé, particulièrement en ce qui concerne la santé mobile. L’investissement dans des objets nomades et le coût récurent des applications et solutions proposées pourraient rapidement créer de fortes inégalités de traitement entre les Français. Une réflexion sur l’offre socle pouvant être supportée par la solidarité nationale, basée sur les perspectives d’économies générées par le recours à l’e-santé, pourrait s’avérer utile pour fixer un cadre.
- La sécurisation des données. Dernier frein, et non des moindres, la sécurisation des données. Si le « Ségur de la santé » promet de réelles avancées dans ce domaine, la maîtrise des données est devenue un enjeu stratégique pour les entreprises comme pour les Etats, enjeu d’autant plus fort dans une période d’extrême tension comme celle que nous connaissons actuellement. L’e-santé ne pourra se déployer pleinement qu’avec une sécurisation complète des données, permettant de développer l’impérative confiance des Français en ce nouvel outil.
Si les questions de santé n’ont pas occupé une place à la hauteur des enjeux durant cette campagne, plusieurs axes peuvent permettre de penser l’avenir avec quelques perspectives positives. L’e-santé fait manifestement partie de ces perspectives. Gageons que le prochain quinquennat lui permettra de développer toutes ses potentialités.
Par Sébastien Podevyn-Menant, expert associé à la Fondation Jean Jaurès