Marine Le Pen et le Covid: deux ans d’incohérences
A quelques jours du deuxième tour de l’élection présidentielle, voici un rappel des principales prises de position de Marine Le Pen pendant la pandémie de Covid19. En novembre 2021, la candidate du Rassemblement national affirmait qu’elle aurait fait « radicalement différemment sur l’intégralité de la crise sanitaire ». Quels principes l’auraient donc guidée ? A coup sûr, ni les fondamentaux de la santé publique, ni la solidarité nationale avec les plus fragiles, ni encore la confiance dans la parole des experts. Son opposition à la stratégie de l’exécutif est pavée de préférences systématiques en faveur du charlatanisme et axée sur la décrédibilisation des autorités.
Une opposition à la vaccination des enfants
La candidate du Rassemblement national a confirmé, en mars 2022, qu’elle y était « fondamentalement opposée », et n’aurait elle-même « pas fait vacciner ses enfants » s’ils avaient été plus jeunes. Pour justifier son opposition, la candidate martèle deux arguments qui sont tous deux orthogonaux avec les évidences scientifiques. Le premier consiste à invoquer un risque d’effets secondaires : toutes les données de pharmacovigilance illustrent au contraire la parfaite sécurité de la forme pédiatrique du vaccin Pfizer, par exemple chez les presque 10 millions d’enfants de 5-11 ans vaccinés aux Etats-Unis pour lesquels la pharmacovigilance est disponible.
Son deuxième argument consiste à invoquer le déséquilibre de la balance bénéfice/risque, en faisant valoir une innocuité de l’infection par Sars-Cov-2 chez les enfants : une position que contesteraient volontiers les plus de 20.000 familles françaises qui ont traversé l’épreuve d’une hospitalisation de leur enfant pour Covid.
La vaccination vue comme un bénéfice individuel et non comme un instrument de santé publique
L’équation que cherche à résoudre Marine Le Pen est de se poser en défenseure des non-vaccinés, sans pour autant s’assimiler aux réseaux antivax. Ainsi se dit-elle favorable à la vaccination, tout en s’opposant au passe sanitaire, puis au passe vaccinal. Mais l’argument qu’elle mobilise porte en réalité un coup sévère à la légitimité de la vaccination dans l’opinion : elle martèle que le vaccin ne protège pas contre l’infection et, de là, n’est qu’un outil de prophylaxie individuelle, et non un instrument de santé publique. Si le bénéfice individuel de la vaccination et du rappel pour éviter les formes graves lui paraît réel, en revanche, l’intérêt de la vaccination en tant qu’instrument de réduction de la circulation virale lui semble absolument absent, ce qui la conduit à dénier au vaccin son utilité du point de vue de l’intérêt collectif. De là, elle infère que toute stratégie d’obligation vaccinale, ou même d’incitation à la vaccination, via le passe, est purement illégitime. Cette assertion est erronée, et de très nombreuses publications disponibles au tout début de l’année 2022 confirmaient, au contraire, l’efficacité de la vaccination contre l’infection, même si c’était en effet dans des proportions moindres qu’on aurait pu l’espérer. Si les estimations les plus récentes amènent à situer plutôt cette protection désormais autour de 50% chez les vaccinés avec rappel face à Omicron, il reste que, comme l’a dit Bruce Toussaint, qui animait l’émission « La France dans les yeux », le 22 mars dernier, sur BFMTV, « 50%, c’est pas rien quand même, Marine Le Pen ».
Contestation de la vaccination obligatoire des soignants
La candidate du Rassemblement national utilise pourtant ce même argument de l’absence de protection vaccinale contre l’infection, pour s’opposer également à la vaccination obligatoire des soignants, qu’elle qualifie d’« absurdité » et d’« injustice ». Au contraire, le consensus scientifique s’appuie sur des données produites en vie réelle qui attestent de la réduction, tant des infections, que des transmissions causées par des professionnels de santé lorsqu’ils sont vaccinés. La protection des patients fragiles, fait naturellement partie des impératifs de la déontologie médicale et les professionnels de santé sont, du reste, bien sûr soumis à d’autres obligations vaccinales.
Un électorat divisé
De fait, la candidate du Rassemblement national cherche toujours à combiner la critique sur l’inutilité des mesures avec une critique de leur caractère attentatoire aux libertés. Elle défend une stratégie fondée sur le choix individuel et volontaire du masque et du vaccin, sans recourir à aucune contrainte. En pratique, l’objectif de la candidate est de tenir les deux bouts d’un électorat qui se trouve profondément divisé : selon l’enquête du Cevipof et Ipsos-Sopra Steria dans sa vague de décembre 2021 pour Le Monde, près de la moitié (47%) des électeurs potentiels d’extrême-droite déclaraient « ne pas comprendre », voire « condamner » les « antivax » et les anti-passe sanitaire.
A l’inverse, la candidate du RN a parfois conforté la tentation complotiste de l’autre moitié de son électorat ; en mars 2020, lors de la première vague, elle plaidait qu’« en démocratie, on a le droit de douter ».
Cette division de son électorat conduit Marine Le Pen à privilégier les attaques ad hominem contre l’exécutif, ainsi que les invocations générales de la nécessaire protection des libertés. Un thème qu’elle a aussi pu décliner s’agissant de la « liberté de prescrire » en matière de traitements du Covid, réclamant l’accès à la chloroquine en mars 2020 – et affichant, encore récemment, son soutien de fait à Didier Raoult. Cet attachement proclamé à la défense des libertés publiques, posé en étendard de la gestion du Covid n’est pas l’apanage de l’extrême-droite française et a concerné de nombreux partis européens d’extrême-droite durant la crise : comme le notait récemment Pawel Zerka dans Le Grand continent, « la façon dont la liberté est détournée par l’extrême droite (…) est un phénomène commun en période de Covid-19, avec des exemples concrets en France, au Pays-Bas, en Allemagne aussi bien qu’en dehors de l’Europe comme au Brésil ou aux États-Unis ».
La décrédibilisation systématique de la parole publique reste le trait le plus constant de la stratégie de Marine Le Pen face à la pandémie, avec des accusations répétées contre les « bobards » du Gouvernement. A cela s’ajoute la fascination pro-russe. En mars 2021, elle adjurait le gouvernement d’« acheter des vaccins russes », car « pour des raisons géopolitiques refuser de les acheter et d’en faire bénéficier les Français c’est une décision lourde en termes de conséquences ». Rappelons que le vaccin russe Spoutnik V n’est reconnu ni par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ni par l’agence européenne du médicament (EMA), les personnes ayant reçu ce vaccin devant donc recevoir un schéma vaccinal complet à ARN messager pour être considérées comme vaccinées.
Par Mélanie Heard, Responsable du pôle santé à Terra Nova