1. Le mode de financement de l’assurance maladie n’est plus en phase avec le contexte économique
L’assainissement des comptes publics est un objectif majeur du quinquennat d’Emmanuel Macron. Si le déficit de l’État français était de 2,6 % du PIB en 2017 [1], la dette publique s’élevait à 98% du PIB. Le déficit de la Sécurité sociale augmenterait à 4,4 milliards d’euros en 2018 [2] et se heurte à ceux persistants de l’assurance maladie et de l’assurance vieillesse. Alors même que la demande de bien-être est croissante, l’innovation médicale est coûteuse, les maladies chroniques prennent leur essor, les frais médicaux progressent et la population vieillit. La part de la richesse nationale consacrée à la santé est ainsi passée de 7% du PIB en 1980 à environ 12% ces dernières années [3].
Le mode de financement de la Sécurité sociale pendant les Trente Glorieuses, basé sur des cotisations prélevées sur les salaires n’est plus pertinent : la croissance du PIB n’est plus aussi forte aujourd’hui, même si le débat public oscille absurdement, redoutant une croissance trop faible au nom de l’emploi et espérant une décroissance au nom de l’environnement. De fait, le chômage de masse s’est installé et les recettes de la Sécurité sociale ralentissent. Le levier de la hausse des taux de cotisations pour accroître les ressources de la Sécurité sociale n’est plus disponible. Selon Eurostat, les recettes fiscales englobant impôts et cotisations sociales ont représenté 47,6% du PIB en France en 2016, contre 41,3% en moyenne dans la zone euro. La France arrive en tête du classement européen, suivie du Danemark et la Belgique. Cependant, la Belgique, qui occupait la première place en 2015 avec la France, a vu son taux reculer à 46,8% [4].
Il est impossible de revaloriser les cotisations sans risquer une destruction d’emplois (le coût du travail est l’une des causes structurelles du chômage de masse). Cela explique la réduction des charges patronales aux alentours du Smic. Le niveau actuel des cotisations est déjà l’une des causes du déficit de compétitivité-prix des entreprises. Il est donc nécessaire de diversifier les financements à pression fiscale des entreprises constante voire inférieure.
2. La modération des tarifs conventionnels ne suffit plus
Depuis 2005, les pouvoirs publics ont tenté de modérer l’inflation des dépenses médicales par l’introduction d’une modération stricte des tarifs conventionnels (tickets modérateurs, baisses des remboursements, notamment en pharmacie, biologie et radiologie) [5]. Cela a permis, depuis 2010, de respecter l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam). Néanmoins, cette stratégie a aujourd’hui atteint ses limites : les prix ne peuvent pas être abaissés, gelés ou revalorisés à la marge sans qu’augmentent le risque de dégradation de la qualité des soins et le mécontentement des professionnels. L’assurance maladie a également modéré la revalorisation des actes médicaux, dont le C (consultation). La valeur du C a baissé en termes réels. Dernièrement, les médecins sont parvenus à obtenir une hausse du C de 23 à 25 euros.
Désormais, la priorité doit porter sur l’efficience du fonctionnement du système de santé. Martin Hirsch déclarait récemment : « Les budgets ont augmenté pendant des périodes pendant lesquelles les choses ne se sont pas améliorées ; l’argent va avec l’organisation [6]. » Il faut donc moderniser les équipements dans les hôpitaux, avoir une meilleure coordination entre l’hôpital et la médecine de ville, changer les mentalités de certaines corporations. La télémédecine, par exemple, est une excellente réponse à ces évolutions [7]. Nous recommandons, là aussi, de contribuer à une baisse des prix par le recours volontariste à l’innovation et la promotion énergique d’offres low-cost.
3. Repenser le financement : cotisations/charges sociales
Emmanuel Macron a déjà décidé de baisser les cotisations salariales en échange d’une hausse de la CSG. Il serait également judicieux de reprendre la piste d’un allègement des charges sociales en augmentant la TVA (ce qui avait d’ailleurs été proposé par Nicolas Sarkozy et mis en place par François Hollande avec le CICE). Certes, cela impacterait le pouvoir d’achat des ménages, mais il ne faut pas oublier que la TVA en France est inférieure à celle de la moyenne de UE [8].
4. Le périmètre de solidarité doit être débattu
Pour résorber le déficit et léguer aux générations futures la soutenabilité de nos principes de solidarité, il est nécessaire d’accroître la part des fonds privés. Le périmètre de la solidarité devrait faire l’objet d’un débat national.
Un transfert de certains actes pris en charge par la Sécurité sociale vers des organismes privés est possible. Ainsi pourrait-on imaginer de revoir les taux de remboursement sur ceux qui sont répartis entre l’assurance publique et les assurances privées. De manière générale, les assurances privées doivent disposer d’une flexibilité leur permettant d’innover et d’expérimenter de nouveaux services, comme la télémédecine, problème complexe du côté de l’assurance maladie.
Au vu des finances de l’assurance maladie, cette évolution se fera tôt ou tard, soit par pragmatisme et de manière incrémentale, soit par de véritables sauts réformateurs opérés au terme de débats nationaux. Comme cette réforme risque d’avoir un fort coût électoral, on peut craindre que la première solution soit favorisée, mais une refonte plus drastique et rapide du système devrait intervenir pour éviter une crise du système de santé solidaire. La solidarité prendra le chemin d’un resserrement de la couverture publique, soit autour des prestations médicales « essentielles », soit autour des individus les plus vulnérables, ou bien les deux à la fois.
Pour le premier scénario, avec une solidarité recentrée sur les soins essentiels, la solidarité resterait inconditionnelle, en accordant aux individus une protection sans considération de leur situation économique et sociale, et l’équilibre serait atteint par un resserrement du champ de la protection sur un panier de soins jugés essentiels. Le poids financier des maladies bénignes serait progressivement transféré aux organismes complémentaires. Les ménages modestes, qui ne peuvent supporter le coût d’une assurance privée, continueraient de relever d’une logique solidaire complète, sur tous les soins. Les ménages de la classe moyenne inférieure pourraient bénéficier d’une aide pour l’accès à une couverture privée, à l’image de l’actuelle ACS. Ce scénario correspond à une accentuation des tendances passées : l’assurance maladie tend à se retirer de certaines prestations médicales (soins dentaires, optique), alors qu’elle maintient une couverture complète pour les affectations de longue durée (ALD).
Le second scénario propose une solidarité recentrée sur les populations fragiles. Une solution financièrement soutenable consiste en effet à faire participer les patients au coût des soins consommés proportionnellement à leurs revenus, ce qui reviendrait à favoriser le principe d’équité par rapport à celui d’égalité, en assumant la création d’inégalités au profit des moins favorisés. Plusieurs mécanismes pourraient être établis, de la proportionnelle à des systèmes plus complexes de seuils. L’idée de mettre en place un « bouclier sanitaire » permettrait aux assurés d’être soumis à une franchise sur leurs dépenses médicales proportionnelle à leurs revenus. Une fois la franchise dépassée, le système solidaire s’actionnerait pour prendre en charge les frais, de manière intégrale ou partielle, comme c’est le cas aujourd’hui. Comme avec le premier scénario, les organismes complémentaires d’assurance maladie récupéreraient à leur compte la dépense non couverte par la solidarité. Ces deux scénarios peuvent être complémentaires : le premier permet de répondre au défi du financement, le second à celui de l’équité.
5. Création d’un instrument de pilotage fiscal des comportements nutritionnels
Dans un rapport récent, la Cour des comptes juge essentiel le développement d’une politique de prévention pour maîtriser les coûts de santé en contenant l’apparition de maladies (par la vaccination, le développement du sport, une nutrition saine, etc.) [9]. Une politique de prévention fondée sur une fiscalité incitative pourrait avoir un impact en matière de santé publique [10]. Ces politiques concernent, par exemple, la fiscalité écologique et la santé publique (taxes sur les cigarettes, taxes sur les sodas, etc.).
Il s’agirait ici non pas d’augmenter le niveau des prélèvements obligatoires mais d’entraîner des modifications de comportements de consommation par :
– la baisse de la TVA sur des produits favorisant une bonne santé (fruits, légumes, etc.) ;
– la hausse de la taxe sur les produits élaborés en fonction de leur contenu en ingrédients nocifs ou sur leur taux de graisse, sel ou sucre [11]. Cette taxe permettrait de produire des aliments plus sains et ferait in fine monter en gamme la compétitivité des produits français. Cela suppose néanmoins un contrôle de la composition des produits.
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Dominique Reynié, Georges Clementz, Karman Jassal
Notes
[1]. Voir « En 2017, le déficit public s’élève à 2,6 % du PIB, la dette notifiée à 97,0 % du PIB » (Insee, comptes nationaux des administrations publiques, année 2017, premiers résultats), Informations rapides, no 79, 26 mars 2018 (www.insee.fr/fr/statistiques/3375616).
[2]. Sécurité sociale. Rapport à la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Résultats 2016, prévisions 2017 et 2018, ministère des Solidarités et de la Santé, 2017, p. 13-14 (www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/ccss-septembre2017-ok.pdf).
[3]. « Quelle est la part de la richesse nationale consacrée à la santé ? », vie-publique.fr, 29 février 2016 (www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/protection-sociale/risque-sante/depenses-sante/quelle-est-part-richesse-nationale-consacree-sante.html).
[4]. Voir « La fiscalité́ en 2016. Le ratio recettes fiscales/PIB en légère hausse tant dans l’UE que dans la zone euro. Un rapport de 1 à 2 entre États membres », Eurostat, communiqué de presse, 7 décembre 2017 (ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/8516002/2-07122017-BP-FR.pdf/fe2436ff-4891-46bc-86d4-ba5908cef012).
[5]. Les Réseaux de soins conventionnés, Pour une meilleure régulation des dépenses médicales, Asterès, septembre 2016, p. 11 (asteres.fr/site/wp-content/uploads/2016/09/Asterès-Les-réseaux-de-soins-conventionnés-Etude-juin-2016.pdf).
[6]. « Martin Hirsch : “L’un des grands enjeux, c’est de casser le mur entre l’hôpital et la médecine de ville” », franceinter.fr, 24 avril 2018 (www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-24-avril-2018).
[7]. Voir Dominique Reynié, Digitalisation de la santé : une voie prometteuse, fondapol.org, 26 mars 2018 (www.fondapol.org/dans-les-medias-fr/digitalisation-de-la-sante-une-voie-prometteuse/).
[8]. Voir « Liste des taux de TVA dans l’Union européenne », asd-int.com, 2 janvier 2017 (www.asd-int.com/actualites/article/13-liste-des-taux-de-tva-dans-lunion-europeenne).
[9]. Voir L’Avenir de l’assurance maladie. Assurer l’efficience des dépenses, responsabiliser les acteurs, Cour des comptes, novembre 2017 (www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-11/20171129-rapport-avenir-assurance-maladie_0.pdf).
[10]. Voir Nicolas Bouzou, Réformer la santé : trois propositions, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2011 (www.fondapol.org/wp-content/uploads/2011/11/Reformer-la-sante-Bouzou-2011.pdf).
[11]. Une taxe sur les aliments nocifs n’inciterait pas les industriels à adapter leurs recettes aux exigences de santé publique (les produits ne sont pas taxés en fonction de leur contenu mais de leur définition même), tandis qu’une taxe sur les ingrédients nocifs (huile de palme, sirop de glucose…) aurait des conséquences sur les produits fabriqués en France et pénaliserait paradoxalement les produits nationaux par rapport aux produits étrangers.
1. La régulation de notre système de santé souffre de sa dépendance aux mécanismes d’obligations collectives dans une société marquée par l’affirmation d’un individualisme libéral
L’accord national interprofessionnel (ANI) sur la modernisation du marché du travail de 2008 a mis en place le maintien des garanties santé et prévoyance d’entreprise en faveur des salariés ayant vu rompu leur contrat de travail [1]. Par ailleurs, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi est venue intégrer cette obligation dans le code de la Sécurité sociale et en augmenter la portée [2]. L’article L911-8 du Code de la Sécurité sociale [3] a ainsi fait évoluer le dispositif de maintien de garanties santé et prévoyance par l’extension de la durée maximale (délai rallongé de 9 à 12 mois) et la généralisation du système de mutualisation. Depuis le 1er juin 2014, pour la santé, et à compter du 1er juin 2015, pour la prévoyance, l’article L911-8 du Code de la Sécurité sociale est applicable à tous les employeurs, y compris ceux qui jusque-là n’entraient pas dans le champ de l’ANI de 2008.
Aujourd’hui, la question de la portabilité des droits se pose uniquement parce que l’on a rendu obligatoires les complémentaires santé en entreprise. Or, bien que décidée, cette obligation d’adhésion pose une série de problèmes qu’il importe de relever. En effet, depuis le 1er janvier 2016, tous les salariés doivent disposer d’une couverture collective obligatoire (« mutuelle entreprise ») en matière de remboursements complémentaires de frais de santé (loi du 14 juin 2013). Ceux qui bénéficiaient déjà d’une complémentaire santé ont pu la conserver le temps que leur contrat se termine, mais ont dû ensuite souscrire à celle de l’entreprise.
L’employeur souscrit un contrat auprès d’un assureur et doit participer au minimum pour moitié du montant des cotisations, le salarié payant le reste. Les garanties minimales dues sont « l’intégralité du ticket modérateur à la charge des assurés sur les consultations, actes et prestations remboursables par l’assurance maladie obligatoire ; le forfait journalier hospitalier ; les dépenses de frais dentaires, à hauteur de 125% du tarif conventionnel ; les dépenses de frais d’optique, sur la base d’un forfait par période de deux ans, avec 100 euros minimum pour les corrections simples, 150 euros minimum pour une correction mixte simple et complexe, 200 euros minimum pour les corrections complexes [4] ».
Si le salarié perd son travail (hors motif de faute lourde), il continue à bénéficier de la mutuelle dès la date de cessation de son contrat de travail et pendant une durée égale à la période d’indemnisation du chômage, dans la limite de son dernier contrat de travail ou des derniers contrats de travail lorsqu’ils sont consécutifs chez le même employeur. Ainsi, si le salarié a travaillé entre deux et trois mois dans l’entreprise, il bénéficiera de la « mutuelle entreprise » pendant deux mois. La durée du maintien des droits est de douze mois maximum. À l’issue du dispositif de portabilité, l’organisme assureur adresse au salarié une proposition de maintien de la mutuelle à titre individuel, dont la cotisation sera entièrement à sa charge. Il en va de même pour un salarié qui part à la retraite. Enfin, dans certains cas, le salarié est en droit de demander, par écrit, une dispense d’adhésion à la complémentaire santé collective de l’entreprise s’il dispose déjà une couverture complémentaire (mutuelle individuelle, couverture maladie universelle complémentaire ou CMU-C, aide au paiement d’une complémentaire santé ou ACS) – cependant il devra souscrire à la complémentaire de l’entreprise dès que son contrat individuel sera terminé – ; s’il dispose déjà d’une couverture collective (notamment en tant qu’ayant droit) ; s’il est en contrat à durée déterminée (CDD) de moins d’un an ; s’il est à temps très partiel ou s’il est apprenti et que la cotisation représente 10% ou plus de son salaire.
2. Le risque d’un contentieux sociétal croissant
Les complémentaires santé n’ont pas vocation à constituer une simple extension de la protection sociale ; elles ne doivent pas se concentrer exclusivement sur un modèle de solidarité car ce sont des organismes privés. Cela peut finalement s’apparenter à un processus d’étatisation de ce secteur. Si les logiques économiques auxquelles se trouvent soumises les complémentaires santé se rapprochent de celles de l’assurance obligatoire, les complémentaires santé deviendront moins aptes à compenser les défauts de l’assurance obligatoire.
Nos sociétés sont bouleversées par un processus d’individualisation qu’il serait plus judicieux d’accompagner que de chercher (vainement) à contrarier. Ce processus d’individualisation est celui par lequel les membres de la société accèdent à une autonomie croissante ou manifestent une aspiration croissante pour y parvenir.
On peut citer trois exemples qui illustrent ce phénomène :
– le processus a littéralement bouleversé le rapport entre les femmes et les hommes, via la systématisation de l’entrée des femmes dans le monde du travail ou, dans le prolongement, la promotion de l’égalité des droits, de l’accès à la maîtrise de la procréation par la contraception puis du droit à l’avortement, de la féminisation de la politique en général et des fonctions électives en particulier) ;
– La révolution de la famille au cours du dernier demi-siècle est moins le fait de la loi que le résultat de l’initiative des individus eux-mêmes. Ce sont bien les individus qui ont destitué la forme dominante du couple hétérosexuel, marié, avec enfants.
– Enfin, l’évolution actuelle du travail procède de ce même mouvement d’individualisation que l’on peut lire dans la diversification des statuts : le temps partiel choisi, l’autoentrepreneuriat ou encore l’ »ubérisation » de l’activité illustrent la continuation de ce processus d’individualisation.
Si l’individualisation de nos sociétés relève d’un puissant mouvement de civilisation, hypothèse que nous retiendrons, ce processus doit être compris comme l’expression des aspirations profondes de sociétés où l’on souhaite combiner le fait social et le fait individuel, conserver la sécurité et la solidarité en accédant aussi désormais à l’autonomie. Dans certaines conditions, l’évolution de la complémentaire pourrait donc se révéler inadaptée, voire contraire aux mutations économiques, sociales et culturelles manifestement en cours.
3. Il serait périlleux d’opposer solidarité et liberté
Ce nouveau système conduit à une situation en contradiction avec ce mouvement de fond. Non seulement le salarié n’a plus le choix de souscrire ou non à une complémentaire santé, mais il n’a désormais plus le choix de choisir le contrat puisqu’il est contraint d’accepter celui de l’entreprise.
Les préférences des salariés en termes de complémentaires santé divergent selon leur situation et leurs préférences. Par exemple, les salariés ayant un ou plusieurs enfants à charge peuvent rechercher une couverture complète de la famille, alors que les salariés sans enfants souhaitent n’assurer que leur propre personne, voire leur conjoint. Les salariés âgés peuvent privilégier les couvertures haut de gamme, quand les jeunes peuvent se contenter d’une couverture basique. Les salariés à haut revenu peuvent volontiers investir dans leur complémentaire, quand les salariés à faibles revenus y seront réticents. Le financement de la complémentaire est d’autant plus pesant dans la rémunération des salariés que leurs revenus sont faibles, ce qui le distingue de celui de l’assurance obligatoire qui s’effectue suivant un montant proportionnel au salaire.
Avant 2016, 95 % des personnes étaient déjà couvertes par une complémentaire santé, via l’entreprise ou individuellement. Les salariés détenteurs d’un contrat individuel avant la réforme se retrouvent donc pour beaucoup avec un contrat collectif équivalent, peut-être moins adapté, voire inadapté. La portabilité conduit donc à passer d’un système qui, de fait, permettait d’atteindre l’universalité dans l’exercice du choix personnel à un système qui y conduit également mais en privant l’individu de sa liberté de choisir. De plus, pour promouvoir l’accès à une complémentaire santé pour tous, l’État a déployé la CMU et l’ACS. La CMU garantit une protection de qualité aux personnes aux plus bas revenus. L’ACS garantit un accès à moindre coût à une complémentaire pour les personnes dotées d’un faible revenu, bien que supérieur au seuil donnant accès à la CMU. S’il est vrai que le taux de recours à l’ACS était insuffisant (les personnes concernées étant mal informées), ne fallait-il pas essayer d’améliorer le fonctionnement de ces aides, en modernisant par exemple l’ACS, plutôt que de rendre les complémentaires santé obligatoires ? Ces deux aides auraient dû suffire à garantir un accès à une complémentaire pour tous.
Par ailleurs, le mode de financement se fait par mutualisation. Quand l’individu quitte l’entreprise, il continue à être protégé par la complémentaire de l’entreprise sans cotiser. Ce sont les salariés de l’entreprise qui paient pour lui. Pour une entreprise de cinquante personnes qui « perd » un salarié, l’impact est mineur car le financement se répartit sur cinquante contributeurs, mais pour une entreprise de cinq salariés, le poids financier est plus important. Or, en France, un salarié sur cinq travaille dans une entreprise de moins de dix salariés.
Désormais, seule l’entreprise a la liberté de choisir : c’est une régression qui risque de susciter des réactions, voire des résistances.
De plus, l’entreprise, selon son secteur d’activité, peut aussi déterminer plus ou moins les orientations de sa couverture (par exemple, pour le BTP, vers des complémentaires qui prennent en compte les accidents du travail). On n’est donc pas encore totalement dans un système universel. L’argument selon lequel l’entreprise est plus forte que l’individu pour peser dans les négociations et obtenir des contrats à bas prix, avec un maximum d’avantages, est souvent avancé. En réalité, il est difficile de comparer car le prix moyen des complémentaires individuelles est impacté à la hausse par les contrats proposés aux personnes âgées, logiquement plus chers.
Il faudrait veiller à la rentabilité des complémentaires santé collectives par comparaison avec les mutuelles individuelles. Alors que l’on assiste aujourd’hui à une généralisation des complémentaires collectives, ces dernières entraînent-elles une augmentation des prix ou une diminution du prix des prestations destinées aux salariés ? La question mérite d’être étudiée. Quoi qu’il en soit, toutes les complémentaires santé des entreprises ne se valent pas. Certaines grandes entreprises auront plus de facilité à négocier une mutuelle collective à bas prix, alors que d’autres devront payer plus (et leurs salariés aussi) pour des avantages moindres. Cela peut conduire in fine à créer des inégalités entre salariés.
Pareillement, la portabilité des droits est inexistante pour certaines catégories comme les fonctionnaires. On peut imaginer que les salariés membres de la fonction publique sont exclus du bénéfice de la portabilité parce qu’ils ne sont pas exposés au risque du chômage. Pour autant, l’exclusion de la portabilité contribue à dissuader les membres de la fonction publique qui souhaiteraient s’engager dans le secteur privé, soit temporairement soit définitivement. Décourager la mobilité de la fonction publique ne constitue pas un résultat d’intérêt général.
De même qu’il existe des ponts entre la fonction publique et le secteur privé, il en existe au sein du secteur privé entre les indépendants et les salariés. Il y a là autant de sources possibles d’injustices entre les parcours des individus. On peut considérer comme souhaitable l’universalisation de la portabilité des droits.
4. Pistes de réflexion
Sont-ils positifs, négatifs ou neutres pour les entreprises ? Sur l’embauche ? Sur le nombre de CDI ? De même, est-ce que le prix de la complémentaire santé individuelle augmente pour les personnes retraitées afin de compenser la baisse des prix des salariés qui passent par ce nouveau système ? Il serait également utile d’évaluer le taux de satisfaction des salariés de cette réforme. Estiment-ils qu’il y a une restriction de choix ? Sont-ils assez informés ? Le système leur semble-t-il transparent ?
Les complémentaires santé sont les assurances les plus coûteuses pour les ménages et les moins aisées à comprendre, alors que la couverture de l’assurance maladie est elle-même déjà complexe et opaque. Cette opacité rend particulièrement complexe la comparaison des offres entre deux assureurs. Dès lors, la concurrence « qualité/prix » joue difficilement.
Selon le fameux effet cliquet, il est toujours difficile de revenir sur une mesure sociale par rapport à l’opinion publique. Si les entreprises doivent continuer à prendre en charge une partie de la complémentaire santé, la Fondation pour l’innovation politique propose la création d’un ticket complémentaire santé annuel, basé sur le même principe qu’un ticket restaurant. Alors que l’entreprise finance aujourd’hui 50% de la complémentaire, l’État devrait fixer un montant minimal pour le ticket santé de toutes les entreprises.
Cette mesure aurait un triple avantage : elle redonnerait aux salariés la liberté de choisir leur complémentaire santé en fonction de leurs besoins ; elle permettrait de conserver le lien entre l’entreprise et les mutuelles, la première pouvant indiquer à ses salariés que s’ils optent pour telle complémentaire santé, ils bénéficieront d’un certain nombre d’avantages ; elle respecterait le principe de portabilité.
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Dominique Reynié, Mathilde Tchounikine, Katherine Hamilton
Notes
[1]. Voir accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, art. 14 (www.wk-rh.fr/actualites/upload/accord_national_interpro_11012008.pdf).
[2]. Loi no 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi (www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027546648).
[3]. Article L911-8 du Code de la Sécurité sociale, créé par la loi no 2013-504 du 14 juin 2013 (www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;j?idArticle=LEGIARTI000027549338&cidTexte=LEGITEXT000006073189).
[4]. « La mutuelle d’entreprise devient obligatoire au 1er janvier 2016 dans le secteur privé », economie.gouv.fr, 15 décembre 2015 (www.economie.gouv.fr/entreprises/mutuelle-entreprise-obligatoire).
Nous comprenons la notion de « reste à charge efficient » comme une nouvelle condition intégrée à l’objectif : le reste à charge zéro définissait, au départ, l’objectif à atteindre ; il est devenu ensuite le reste à charge zéro pour tous ; il devient maintenant le reste à charge zéro efficient pour tous, introduisant conséquemment une troisième contrainte, soit une bonne qualité des soins et des équipements pris en charge.
La question se pose de savoir si la superposition des objectifs n’implique pas une hiérarchisation. Passer du « reste à charge zéro » au « reste à charge zéro pour tous », déjà présent dans le projet initial, ce qui nous avait échappé, change déjà sensiblement l’économie de l’opération et contraint donc davantage les conditions de sa réalisation. Mais exclure a priori l’idée d’accomplir cette réforme en recourant à des soins et à des équipements d’une qualité inférieure a pour conséquence d’augmenter encore les difficultés pour atteindre l’objectif initial.
On le comprend, tout dépendra de la définition que l’on pourra avoir de la « bonne qualité » des soins et des équipements. Nous proposons cependant de hiérarchiser les éléments composant l’objectif du « reste à charge zéro » :
– un niveau de remboursement correspondant à 100% ;
– pour tous les assurés ;
– pour des équipements et des soins de « bonne qualité ».
La hiérarchisation permet de proposer la réalisation du « reste à charge zéro » en trois étapes, chacune devant être réalisée avant d’engager la suivante, ceci afin de ne pas risquer de se détourner de l’objectif considéré comme essentiel, eu égard à la philosophie du projet :
– 1re étape : elle permettrait aux personnes ne disposant pas de ressources suffisantes d’accéder au reste-à-charge zéro. Ce point serait prioritaire et constituerait en réalité la première étape à réaliser avant de passer à la seconde ;
– 2e étape : le reste à charge zéro maîtrisé, et constaté en un bilan d’étape, le passage au reste-à-charge zéro pour tous pourrait être engagé ;
– enfin, 3e étape, la maîtrise du « reste à charge zéro pour tous » pourrait autoriser le passage à l’étape finale des soins et des équipements de « bonne qualité ».
Deux idées motivent notre proposition de décomposition des objectifs, de leur hiérarchisation et de séquençage de l’action :
a) il paraît pertinent de déterminer un objectif prioritaire, précisément pour ne pas le mettre en péril en augmentant la difficulté de la tâche (le mieux est l’ennemi du bien) ;
b) l’idée de réaliser un reste à charge zéro pour tous dans le cadre de soins et d’équipements de « bonne qualité » mérite d’être contestée.
État des lieux par filière
La Fondation pour l’innovation politique considère que le prix du matériel peut être maîtrisé.
Le Rac efficient doit couvrir les verres ; un plafond est à prévoir pour les montures. La France compte un nombre d’opticiens égal à celui des États-Unis. Il existe déjà des offres sans reste à charge en optique, notamment chez Santéclair, mais les informations sur ces formules ne sont pas encore assez connues et il y a peu de choix de montures. Ces offres sont peu proposées par les professionnels car elles leur laissent de faibles marges.
Nous sommes favorables à l’évolution récente de certains réseaux de distribution, qui parviennent à maintenir la qualité des produits.
Happyview fait des prescriptions médicales pour des lunettes de vues en ligne. L’entreprise a installé un système de commande en 17 secondes avec moins de 1% de d’erreur, alors que les opticiens prennent entre 3 et 4 minutes. De plus, Happyview a mis en place un système d’allers-retours pour assurer des essayages gratuits, cette solution ayant l’intérêt de compenser des manques dans les déserts médicaux.
Le même système doit se développer pour les prothèses auditives et dentaires.
En matière de soins dentaires, des patients se déplacent à l’étranger pour bénéficier de soins et d’équipements moins onéreux. Selon le Centre national des soins à l’étranger (CNSE), les pays où les Européens vont le plus se faire soigner sont la Hongrie (dépense moyenne de l’assuré : 1428€ ; taux de prise en charge 23%), l’Espagne (614€ ; 18,7%) ; le Portugal (214€ ; 33,6%), l’Italie (917€ ; 15,7%), l’Allemagne (353€ ; 20,6%).
En France, les tarifs peuvent varier jusqu’à 30% selon les villes (par exemple, la pose d’une couronne céramo-métallique coûte environ 200 euros de plus à Paris qu’à Nîmes ).
Il s’agirait de mettre en place des plafonds annuels pour les prothèses dentaires, qui varieraient selon les soins requis et qui seraient alternatifs.
Le rôle de chacun dans le financement de ce RAC efficient
L’assurance maladie ne peut pas porter entièrement le coût du zéro reste à charge. Nous raisonnons ici sous la contrainte qui a été posée, à savoir que le montant des complémentaires santé ne doit pas augmenter.
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, refuse l’augmentation des cotisations des assurés comme corollaire du Rac zéro. Or en 2017, les tarifs des mutuelles ont connu une hausse de 3 à 5% concernant les contrats groupes et de 2 à 4% pour les contrats individuels.
– Afin d’éviter ces augmentations, la prise en charge devrait concerner non pas l’ensemble des soins de chaque filière, mais un lot de soins déterminés dans chacune d’elles, soins qui correspondent aux besoins réels du patient. Ainsi, il faudrait :
– réduire la prise en charge de certaines prestations de confort (cures thermales, conseils diététiques) ;
– baisser les taxes sur les assurances complémentaires ;
– faire jouer la concurrence pour contenir les tarifs ;
– baisser les taxes sur certains produits : verres de lunettes (qui sont taxés à 20%, contre 5.5% pour les autres matériels médicaux) ;
– baisser les charges sur les cabinets dentaires ;
– rendre indispensable la prévention dans chaque secteur.
Le rôle de l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle (IA) a un rôle certain à jouer dans la création d’un RAC efficience.
Le progrès technique diminue le coût des soins et des équipements. La télémédecine améliore l’accès aux soins et la prise en charge des patients dans certaines zones de France.
Concernant l’intelligence artificielle, l’université de Columbia a, quant à elle, élaboré un projet de prothèse auditive fonctionnant grâce à l’IA. Les signaux cérébraux sont analysés afin d’identifier quelle personne l’utilisateur essaie d’écouter, via des électrodes dans ou autour de ses oreilles.
Pour une politique offensive en faveur du low cost
Le low cost permet à tous d’accéder à une gamme plus large de consommation.
Il s’agit d’une simplification de l’offre, dont le fondement n’est pas à rechercher du côté des coûts et de l’offre, mais du côté de la demande et des consommateurs. Il repose d’abord sur une démarche consistant à simplifier à l’extrême des produits et des services existants.
Le consommateur a besoin de faire un choix entre deux biens ; il compare les écarts de prix avec les écarts de qualité et fait le choix qui lui convient. Ce modèle donne le pouvoir au consommateur de choisir le produit de base pour ses besoins (par exemple des lunettes de vues) et donc de ne pas payer cher ou de payer cher en profitant des avantages accessoires – par exemple les montures de luxe). Le low cost pourrait être développé dans les secteurs de l’optique, de l’audio, et du dentaire.
Le low cost n’est pas synonyme de mauvaise qualité.
La qualité comporte différentes caractéristiques auxquelles les clients n’attachent pas tous la même importance. Les consommateurs sont disposés à avoir une offre de soins relevant de l’essentiel, laissant de côté les prestations accessoires en échange d’un prix plus faible.
Dans le domaine des compagnies aériennes low cost, certaines prestations restent indispensables pour tous les consommateurs, comme la sécurité et la ponctualité des vols – ce que sont parvenues à respecter ces compagnies.
Le low cost fait gagner du pouvoir d’achat au consommateur.
Dans la note de la Fondation pour l’innovation politique, les vertus cachées du low cost aérien, son auteur Emmanuel Combe, professeur à l’Université Paris I, donne l’exemple de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, premier hub régional d’Air France, dans lequel EasyJet a ajouté une base en 2008 et qui a également vu l’ouverture d’une aérogare low cost en 2010. Entre 2007-2009, l’arrivée de compagnies low cost sur l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry a produit un gain total de pouvoir d’achat de 154 millions d’euros, bénéficiant pour plus de la moitié aux clients des compagnies historiques. Les clients qui sont restés fidèles ont effectivement économisé 86 millions d’euros au total, contre 67 millions d’euros pour ceux qui se sont orientés vers une compagnie low cost. En moyenne, 37 % des clients du low cost viennent de la compagnie installée, et 59 % de ces clients n’auraient pas voyagé si l’option du low cost n’était pas disponible. Un gain est aussi réalisé par les clients qui sont restés fidèles à la compagnie historique et qui ont vu le prix de leur billet baisser grâce à la mise en concurrence.
Ainsi le low cost permettrait également d’intéresser de nouveaux patients.
Nous savons que de nombreuses personnes en France renoncent à certains soins car elles n’ont pas les moyens de les financer. Il s’agirait d’enclencher une démocratisation des trois catégories de soins.
Il faudrait créer un label, du type « effort-prix » : le Rac serait activé pour les équipements labellisés. Pour les autres matériels, les usagers devraient rester libres de les acquérir et contribueraient en fonction du prix de l’équipement.
Il reste à s’interroger sur les mécanismes qui permettraient à des acteurs de ces trois secteurs d’investir dans le low cost si par ailleurs le RAC zéro était garanti à tous. Dans l’hypothèse d’un RAC zéro désincitatif à l’égard des acteurs concernés, il faudrait s’interroger sur la manière de rendre cette réforme réalisable.
Katherine Hamilton, chargée de mission à la Fondapol
Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol
Eva Schmite, chargée de mission à la Fondapol.
Notes
[1] Pour en savoir plus, voir : www.happyview.fr
[2] Pour en savoir plus, voir : https://humanite.fr/soins-dentaires-en-france-et-letranger-les-remboursements-607501
[3] Pour en savoir plus, voir : http://www.huffingtonpost.fr/2018/01/25/le-cout-des-soins-dentaires-fait-le-grand-ecart-denonce-60-millions-de-consommateurs_a_23343077/
[4] Emmanuel Combe, Le low cost, une révolution économique et démocratique, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2013, page 11 (http://www.fondapol.org/etude/emmanuel-combe-le-low-cost-une-revolution-economique-et-democratique/).
[5] Emmanuel Combe, Le low cost, une révolution économique et démocratique, Fondation pour l’innovation politique, novembre 2013, page 24 (http://www.fondapol.org/etude/emmanuel-combe-le-low-cost-une-revolution-economique-et-democratique/).
[6] Emmanuel Combe, Les vertus cachées du low cost aérien, novembre 2010, Fondation pour l’innovation politique, page 17. http://www.fondapol.org/etude/combe-les-vertus-cachees-du-low-cost-aerien/