Publié le 20 juillet 2023

Le patient, acteur de sa santé, grâce au Numérique ?

#La synthèse du Lab

 

En France, le numérique en santé s’est développé sans, au préalable, une vision stratégique globale. Pour accélérer le virage numérique, et participer ainsi à la transformation du système de santé, il convient que l’Etat assume un rôle de régulateur et également inclure le citoyen dans le processus d’élaboration des stratégies de santé. C’est cet esprit qui a présidé à la création de “Mon espace santé”.

 

Intervenants

  • Dominique PON, Directeur général adjoint DOCAPOST, ancien Délégué ministériel au Numérique en santé
  • Arthur DAUPHIN, Responsable Numérique de France Assos Santé
  • Pauline d’ORGEVAL, Présidente fondatrice de Carians / « Deuxiemeavis.fr ».

L’émergence du numérique dans notre système de santé s’est longtemps faite sans vision stratégique globale, sans définition précise d’une doctrine et d’un cadre de valeurs, et avec de réelles difficultés de pilotage. Les nombreuses problématiques d’accès aux soins, de rupture dans les parcours, d’accès des patients à leurs propres données de santé n’ont pas fait l’objet de stratégies claires en matière d’utilisation des nouvelles technologies.

Dans ce contexte, il était impératif d’instaurer une vision claire, élaborée dans un cadre éthique et humaniste ayant pour point d’équilibre un patient-citoyen. Et de replacer l’Etat dans sa mission régulatrice, porteur d’une stratégie publique lisible par tous.

A partir de mars 2018, de nombreuses consultations ont été menées pour accélérer le virage numérique et définir une stratégie de transformation du système de santé. Deux axes ont été retenus, pour :

  • Permettre au patient d’accéder à ses données : prendre le parti d’aborder davantage le système de santé à partir des professionnels de santé, mais bâtir une stratégie numérique autour du patient et de sa capacité à accéder aux données qui le concernent ;
  • Redonner à l’Etat son rôle d’organisateur / régulateur, capable de proposer, tant en direction des professionnels de santé que des patients, une gouvernance du système, propre à faciliter l’élaboration d’infrastructures techniques et la construction d’un cadre réglementaire tourné vers la mise en réseau des outils numériques destinés au partage des données de santé.

Fin 2020, des ateliers citoyens, puis des assises citoyennes, ont permis de construire une vision commune et d’identifier des propositions, au-delà des blocages traditionnels. Ces propositions ont conduit à la construction de « Mon Espace Santé », et 80% des préconisations faites par le comité citoyen ont pu être retenues. Citons par exemple le mécanisme d’opt-out pour le déploiement de « Mon Espace Santé », les sujets de traçabilité des accès, ou encore de gestion des droits d’accès aux données, etc.

Il convient en effet, pour qu’un outil comme « Mon Espace santé » soit efficient, de s’appuyer, non pas uniquement sur les professionnels de santé, mais aussi sur les citoyens, afin de répondre à leurs besoins et que l’accès à leurs propres données soit facilité.

Grâce à la mise en place de « Mon Espace Santé », le patient est en passe de (re)devenir acteur de sa santé, car la création de ce dispositif permet au patient un libre accès à ses propres données de santé, aujourd’hui aux mains de nombreux acteurs de santé qui ne les partagent pas facilement.

Faire le pari citoyen

Le patient, vu comme acteur de sa santé, a été la boussole du Comité citoyen dans la définition de l’outil « Mon Espace Santé ». La démarche mise en œuvre a montré que, même sur des sujets techniques, le pari citoyen fonctionne : il a permis d’élaborer un consensus et d’identifier des pistes d’actions.

La construction des propositions a été rendue possible par :

  • Un processus d’acculturation et de formation ayant permis d’éclairer les trente participants, au moyen d’une définition précise de l’objet, de leur intérêt pour le collectif et pour chacun et, enfin, de la perspective d’un progrès pour tous ;
  • Des discussions motivantes avec des experts, des associations de patients (telles que France Assos Santé), afin de créer une dynamique favorable à un dialogue sincère, dans une vision humaniste de la santé.

Toutefois, on peut noter au sein de la technostructure politico-administrative, certaines réticences vis-à-vis de préconisations « hors schéma », ainsi qu’une forme d’autocensure ou de réticence à l’action. Or, cette aversion au risque, assez classique, peut être dépassée, pour peu qu’un engagement sincère et humaniste porte et incarne le projet. Lorsqu’une équipe porte cette dynamique et ces valeurs, une fois les freins levés, on a pu constater une mobilisation sans défaut de l’appareil d’Etat et de ses fonctionnaires, pour mettre en œuvre les actions identifiées et les solutions techniques.

La même dynamique a été à l’œuvre pour l’élaboration de la « Nouvelle feuille de route du numérique en santé 2023-2027 », qui s’est également appuyée sur les méthodes de concertation et d’élaboration collective.

Un modèle est alors aujourd’hui posé

Dans une vision positive d’une démarche d’« Etat plate-forme », « Mon Espace Santé » est générateur d’un nouveau droit pour le citoyen, celui de gérer ses propres données de santé (il ne s’agit plus d’une démarche imposée par le haut d’un DMP, dont l’usage n’était pas clairement défini).

Ce droit nécessite, pour s’exercer :

  • De prendre le temps de former les citoyens : leur expliquer les finalités de ces outils, le cadre de valeurs et les objectifs précis qui ont conduit à leur création ; lever les freins liés notamment à la question des données de santé, de leur utilisation et de leur partage. Le sujet des données de santé est en effet un sujet presque tabou aujourd’hui, dont il est difficile de parler autrement que de façon négative ;
  • De veiller à accompagner la création d’outils numériques par une démarche inclusive, ainsi qu’un véritable accompagnement. On constate aujourd’hui que la fracture numérique concerne 16 millions de personnes (dont un jeune sur cinq), avec un lien fort avec les conditions socio-économiques d’existence.

L’appropriation de l’outil numérique par le patient reste un enjeu, la médecine numérique étant encore souvent considérée comme une « sous-médecine » (c’est le cas des téléconsultations par exemple, malgré l’essor qu’elles ont connu ces dernières années avec la crise sanitaire).

En raison de leur proximité avec leurs adhérents et leur maillage territorial, les mutuelles ont un grand rôle à jouer en matière d’apprentissage et de formation aux outils numériques.

Le numérique au service de la réduction des inégalités ?

La mise en place de téléconsultations par la société « Deuxièmeavis.fr » illustre les opportunités, autant que les difficultés d’utilisation, des outils numériques : conçu comme un moyen de réduire les inégalités d’accès à l’expertise médicale, « Deuxième avis » nécessite toutefois une certaine maîtrise des outils numériques, la capacité du patient à rassembler tous les éléments de son dossier médical (les patients peuvent se heurter au refus de certains professionnels de santé), alors même qu’ils sont dans une situation d’incertitude, voire de souffrance, par rapport à leur situation médicale.

Le numérique est un bon moyen pour améliorer l’accès des patients à des experts médicaux, mais là encore, la question de l’inclusion est centrale : les patients peuvent être perdus face au foisonnement des outils numériques, ou face à la multiplicité des acteurs ; ils peuvent se heurter à une barrière financière lorsque ces outils sont payants. Il est impératif de définir un cadre sur l’orientation du patient et la transparence des informations transmises.

Il serait à cet égard utile de faire le lien entre les parcours numérique et le parcours réel du patient : ne pas considérer que l’adoption des outils numériques va couler de source.

Les mutuelles ont un espace d’intervention pour faire vivre le numérique en santé, tout en posant les freins à un développement sans contrôle. Elles pourraient imposer des exigences sur l’inclusion numérique dans les cahiers des charges opposés aux offreurs de services numériques. Il y a bien sûr un enjeu de ROI (retour sur investissement) à trouver pour la pérennité du financement de ces solutions.

L’utilisation des données de santé, un enjeu de santé publique

Les travaux menés ces dernières années ont permis de créer de nouveaux services pour les patients et pour l’exploitation des données de santé. Ainsi, dans « Mon Espace Santé », le recueil des données du patient et de son parcours – et la possibilité de les partager avec les professionnels de santé. A la suite des consultations citoyennes évoquées plus haut, « Mon Espace santé » a été conçu comme un lieu permettant à chacun de décider du sort de ses données.

Mais la défiance est générale sur le stockage des données de santé, leur possible monétisation, et les débats au plus haut niveau portent également sur les questions de souveraineté : comment conserver la maîtrise des données quand la numérisation dé-territorialise l’information ? La numérisation induit en effet une forme de dérèglementation que les Etats ont de la difficulté à appréhender. Dans un contexte de forte défiance à l’égard des pouvoirs publics, mais aussi de défiance interpersonnelle, le sujet de la protection des données individuelles de santé est un préalable à toute formalisation de leur exploitation.

Les usagers expriment de fortes craintes sur ces sujets, qui traduisent une mauvaise perception du risque (ils craignent notamment que leur employeur accède à des données sensibles, ou que leur assureur ne veuille utiliser leurs données de santé à des fins mercantiles ou de sélection du risque), alors que pour que ces données soient mobilisées au service du progrès thérapeutique, le consentement du patient est indispensable. Comme évoqué plus haut, cette mauvaise perception est le résultat d’un manque à la fois d’accompagnement, de formation et d’acculturation.

La notion de souveraineté numérique ne pose pas seulement la question du pays dans lequel sont hébergées les données, mais aussi celle de l’association des citoyens à l’élaboration du cadre de valeurs sur le numérique et à ses usages. Une telle association est l’une des conditions de la confiance que les citoyens pourront accorder aux nouveaux outils numériques de santé.

On ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion collective permettant une plus forte acculturation des citoyens sur ces sujets. Sans quoi il y aura trop peu d’adhésion aux outils numériques en santé, et au-delà, une grande difficulté à un partage altruiste des données personnelles, alors que celles-ci pourraient à terme former un corpus de « communs numériques ». Le « Health Data Hub » a été créé pour faciliter la constitution de bases de données anonymisées permettant l’étude de données de santé « de masse » dans un cadre encadré et structuré. Ces données sont précieuses et leur exploitation maîtrisée est devenu un véritable enjeu de santé publique.

L’Etat pourrait fixer le schéma d’élaboration de ces « communs numériques » permettant de partager en confiance des données de santé, dans le cadre de projets qui pourraient être initiés par les acteurs du système de santé.

Qualité des soins : l’apport de « deuxièmeavis.fr »

La société « Deuxièmeavis.fr » permet à des patients confrontés à des problématiques de santé complexes d’obtenir l’avis complémentaire d’un médecin spécialiste (300 médecins référents) sur un diagnostic, un projet de traitement ou d’opération, en moins de sept jours.

Première société à mission en santé en France, créée en 2015, « deuxièmeavis.fr » a déjà pris en charge 28 millions de patients dans 700 pathologies, dans le cadre de leurs contrats de santé et de prévoyance.

C’est un accompagnement global qui est proposé au patient à travers une information de qualité sur sa maladie, une aide à l’identification d’un médecin spécialiste et un support humain dans l’accès à son dossier médical. Pour lutter contre les difficultés liées à l’accès ou l’utilisation du numérique, l’avis du médecin consulté peut être rendu par téléphone.

Grâce à son modèle, « Deuxièmeavis.fr » participe à la réduction des inégalités sociales et géographiques d’accès à l’expertise médicale. Il permet également au patient une meilleure participation à la décision médicale, condition d’une amélioration de la qualité des soins. Il contribue à fédérer un écosystème susceptible de co-construire un système de santé plus juste et plus efficient. Acteur de la pertinence des soins, « Deuxièmeavis.fr » offre la possibilité d’éviter de mauvaises orientations médicales (aux conséquences parfois lourdes), des actes médicaux inutiles ou redondants et permet un désengorgement des consultations physiques.


Synthèse établie par Bruno Taillefert, Vincent Figureau et Jean-Michel Molins, et relue par Anne-Lise Mougin, Dominique Etienne, Didier Balsan et Christophe Lapierre.