Quelle est la place de l’entraide dans nos vies et dans nos sociétés ?
La notion d’entraide revêt de multiples facettes, individuelle et collective, avec des implications d’ordre moral et d’ordre politique.
A l’échelle individuelle, la crise sanitaire récente a apporté un éclairage plus vif sur l’impérieux soutien dont ont besoin nos enfants et nos ainés à des moments de vulnérabilité marqués. Outre l’entraide familiale, l’INSEE a recensé, en 2016, environ 12 millions de bénévoles dans le cadre ou non d’une association. La crise sanitaire a révélé et développé une multitude d’actions d’entraide entre citoyens dont une grande part a vocation à se pérenniser. Le numérique va être, à l’avenir, un formidable outil pour développer l’entraide et la solidarité auprès des plus vulnérables, même s’il ne saurait être un outil « magique » : il doit être accessible à tous et doit maintenir un contact personnalisé et chaleureux.
A l’échelle de la collectivité, l’entraide se confond avec la solidarité de la nation. Elle repose d’abord sur le principe de « l’Etat providence ».
Dans son rapport « France, Portrait social, édition 2019 », l’INSEE a montré que la France est, grâce à son système fiscal et social, l’un des pays d’Europe qui redistribue le plus : « l’écart de revenu entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres, qui s’élève initialement à 7 est ramené à 2,5 grâce à ce système ». En 2019, la part des dépenses de protection sociale dans la richesse produite (PIB) est de 21% en moyenne dans l’OCDE, de 27% en Europe et de 32% en France (environ 750 milliards d’euros).
Mais ce système reste perfectible. En pratique, les aides sociales (plus d’une centaine) gagneraient en efficacité et en équité si leur fonctionnement était optimisé : en maximisant les regroupements (des aides et des organismes/guichets) et la numérisation (simplification pour les allocataires, réduction de la fraude et des coûts de gestion pour la collectivité) et en menant, au regard des défis démographiques et migratoires, une réflexion indispensable et lucide sur le périmètre des bénéficiaires de cette contribution nationale.
Force est de constater que, malgré l’Etat providence et l’entraide, des inégalités persistent ou se déplacent sur le terrain de l’accessibilité dans plusieurs domaines.
En matière d’éducation/ formation
Afin de réduire les inégalités (liées en particulier au milieu socio-économique d’origine) et de contribuer à l’entraide et à la solidarité, des (r)évolutions sont nécessaires : renforcer l’accompagnement personnalisé des élèves en difficulté et/ou en situation de handicap, favoriser et valoriser l’apprentissage, lutter avec fermeté et célérité contre toutes les incivilités et les atteintes de plus en plus nombreuses à la laïcité à l’école, assurer un enseignement de connaissances fondamentales et de nos valeurs communes, socle pour des jeunes citoyens que l’on souhaite unis et solidaires. Parallèlement, une réforme du Service civique serait utile : il pourrait devenir obligatoire, sur une durée adaptable de 6 à 9 mois, les jeunes ayant, comme en Allemagne, le choix entre un service d’intérêt général soit civil soit militaire.
En matière de logement/ travail
La concentration de l’activité économique dans les métropoles de l’hexagone a un impact réel sur les inégalités territoriales en matière d’accès au logement et au travail avec son corollaire sur la mobilité. De fait, plus encore qu’individuelles ou associatives, l’entraide et la solidarité relèvent ici encore, principalement, de l’Etat : développement du télétravail, vivification des territoires, accessibilité aux logements,…
En matière sanitaire
Pour le patient, la part du reste à charge dans les dépenses de santé courantes est de 7% en France, contre 20 % pour la moyenne de l’OCDE (données 2016). L’inégalité d’accès aux soins en France est plus liée à l’inégalité d’information (savoir qui, comment et où consulter ?). L’entraide pourrait générer plusieurs avancées : avec des parcours de soins territorialisés et numérisés associés à une véritable politique nationale de prévention et de pédagogie sanitaire, notamment pour les plus démunis.
Lors d’une conférence à la Sorbonne en 1882, Ernest Renan livra sa conception de la nation : « la nation est issue de deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une (…) L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis (…) Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices que l’on a faits et de ceux que l’on est disposé à faire encore. »
En un temps où « l’archipéllisation » de la société française, selon la formule de Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l’Ifop nous appelle à une prise de conscience sereine et déterminée, puissions-nous, pour assurer un avenir solidaire au sein de notre nation, garder en mémoire et en actes ces mots prononcés à la Sorbonne.